Tailler l'histoire, remonter les mémoires, observer les courses et les égarements de la fraie : l'écriture de Marie-Andrée Gill est là dans toute sa splendeur. Du haut du rempart devant le lac - le Piekuakami -, elle replonge dans les instants confondants de l'adolescence vécue dans la réserve, à chercher à quoi ressembler, « quoi faire de sa peau ». Par sa poésie délinquante, Marie-Andrée Gill transvase les contrastes qui définissent la communauté ilnue qui l'a vue grandir. Puisque nos morts ne s'envolent pas, elle retrace les cicatrices pour éventuellement chasser la douleur, revient au « village qui n'a pas eu le choix ».
nous n'existons que pour rire de nous-mêmes et nous chercher la nuit
Marie-Andrée Gill est originaire de Mashteuiatsh et voue un culte aux métaphores savoureuses et à plusieurs poètes et écrivains. C'est tout naturellement qu'elle a entrepris d'écrire à son tour un premier recueil de poésie publié à compte d'auteur, Béante, en réimpression. Parallèlement, elle habite sur une montagne perdue et essaie d'élever ses trois garçons à coup de bandes dessinées, de dictionnaires et de mangas. Elle aime bien suivre des cours au Bac en littérature de l'Université du Québec à Chicoutimi et a très hâte de commencer un autre projet d'écriture parce que ça la fait vraiment « tripper ».
Une petite relecture qui ne fait que confirmer à quel point j'adore Marie-Andrée Gill (fangirl moment).
"Comment avaler la beauté du lac avec tous ces fantômes à mâcher dans le poumon de plastique. Je suis dans le niveau sous l'eau d'un jeu vidéo au moment où la petite musique de quand t'as pu d'air commence."
"passer le doigt au béton frais du rempart écrire un prénom, jamais le même, devant le lac et ses branchies de ciel cru où le vent siffle une chanson country toujours
Ce moment où personne ne me dit À quoi je devrais ressembler.
Entrer en poésie sur la pointe des pieds, comme on entre en un territoire nouveau, qui ne nous appartient pas. C’est ainsi. Je chéris le don de soi nécessaire à la démarche poétique. J’y marche avec présence. Sans vouloir déranger, sans vouloir m’imposer ; qu’en voulant respirer. C’est ce que j’ai fait en lisant Frayer, de Marie-Andrée Gill et je ne crois pas que l’on puisse le lire autrement. J’en ai eu l’espace thoracique qui s’ouvre. Le vent qui fouette et me force à prendre une bouffée. Ses vers m’ont fait vertige, comme l’ont fait ceux de Béante, son premier recueil.
Un vertige grandeur d’humain.
Marie-Andrée Gill a les mots-grandeurs et la plume forte. Elle se tient debout, elle apprivoise l’espace, le borde et nous l’offre, comme ça, c’est tout. Elle brode intimement le récit d’une adolescence au Saguenay, sur la réserve, dans un village qui n’a pas eu le choix. Elle le fait avec une simplicité qui désamorce et un langage qui va droit au but. Chaque poème est un éclat de réel, de vulnérabilité, de territoire et de mémoire confondus. On s’y sent aspirés. Frayer, c’est une poésie de grands espaces et de réalité crue. L’écriture trace le passage du lac Piekuakami, une chance le lac, du rempart jusqu’au fjord, en passant par la réserve.
Mais il faut lire Frayer sur la pointe des pieds. Il faut le lire sans cultiver la prétention de comprendre, de saisir ou de faire sens. Il faut laisser la voix de Marie-Andrée Gill résonner, puis respirer dans les silences. C’est donc sans prétention que je me tiens aujourd’hui ici, devant mon écran, à chercher les mots qui rendraient justice à une autrice dont la voix littéraire se réverbère du fjord à la grande ville.
Une voix multiple
nous sommes des bêtes sauvages et la même lumière apprenant par cœur pêle-mêle l’inhibition de la douleur
Le recueil se lit en cinq temps. La première partie comme une préface : quelques poèmes très forts avec en exergue du recueil un poème de Paul-Marie Lapointe. Puis, nous avons quatre parties : le Rempart, la réserve, l’adolescence, le Peikukuami. Chacune empreinte de la précédente et rythmée au cycle de vie de la ouananiche, décrit au début de chaque partie. Le fil conducteur ainsi tissé enveloppe le recueil. Marie-Andrée Gill tisse le portrait d’une vie, ou de plusieurs, car dans Frayer on passe du « je » au « nous » facilement. Les souvenirs et les aspirations d’une communauté Ilnu se rencontrent. N’y a-t-il qu’une narratrice ? Quelle voix appartient à qui ? Comment dissocier le « nous » du « je » ? Est-ce nécessaire ?
J’ai vraiment apprécié ce jeu dans la poésie de Marie-Andrée Gill. Car, après tout, sa poésie est porteuse d’un message qui transcende l’expérience individuelle. C’est pour cela que sa voix rejoint tant les lecteurs, je crois. Elle ouvre nos horizons. Elle se pose en question qui n’a peut-être aucune réponse… Puis pour la trouver, il faudra la lire, Marie-Andrée Gill. Il faudra savourer son langage, écouter les souvenirs et les ressentis pleinement, merveilleusement humains. Puis sentir l’espace. Frayer, à même la cicatrice, frayer. Comme elle le dit si bien, la ouananiche et le saumon atlantique n’ont pas le même habitat, mais ils sont de la même espèce.
Une poésie vous a-t-elle déjà semblé, vous aussi, aussi vertigineuse ?
Excellent recueil de poésie! La recherche identitaire y est d’une importance vitale et l’autrice oscille entre une culture qu’elle ne connaît que trop peu et une identité urbaine qui ne lui convient pas. Magnifique œuvre.
« Comment avaler la beauté du lac avec tous ces fantômes à mâcher dans le poumon de plastique. Je suis dans le niveau sous l’eau d’un jeu vidéo au moment où la petite musique de quand t’as pu d’air commence. » p.31
Marie-Andrée Gill présente son deuxième recueil de poésie à La Peuplade, un recueil touchant, flirtant avec les souvenirs de l’adolescence et ayant comme paysage les lieux de la jeunesse.
La poésie de Marie-Andrée Gill présente la sensation d’«infini» inhérente à l’adolescence, cette sensation qui accompagne souvent celle de vide : « chercher sans relâche / quoi faire de sa peau ». Le temps passe, mais on ne sait pas pourquoi et surtout « (nous sommes partout égarés)». Au milieu de toute cette tourmente : le lac, lieu de tous les possibles, frayère; « Et le lac, une chance, le lac. » Témoin immobile, souvent gelé, parfois calme, le lac attire les regards et les confidences. Il se dresse au milieu du recueil comme une figure d’équilibre, comme un père réconfortant. C’est une des belles images que portent les vers de Frayer.
Accolant un langage adolescent cru et sexuel à des expressions beaucoup plus fragiles, mêlant la nature et les sentiments, Gill a su créer une atmosphère unique, comme si on était sans cesse déchirés entre le rêve et la triste réalité, entre les aspirations et les déceptions, entre ce qui se passe et ce qu’on imagine. À l’image du temps qui passe trop vite, ou pas assez, entre ce lac gelé et porteur d’espoir, la poésie de Gill traduit à merveille les revers et les travers de l’adolescence. C’est un recueil empreint d’une grande sensibilité qu’a écrit la poète, émotivement fort et vrai.
J'ai beaucoup de mal à décrire les recueils de poésie que je lis parce que les vie... je les ressens, je les laisse me caresser, me frapper, me démolir, me faire pleurer et me faire sourire... Je dois admettre que les recueils dont les auteurs sont des femmes me rejoignent davantage étant femme moi-même. Et sans contredit, celui-ci est un de mes préférés... À relire encore et encore!
[Lu dans le cadre du cours de création littéraire]
Je dois débuter ma critique avec un disclaimer: ce livre a été le troisième lu dans le cadre d'un cours à l'université pour me permettre de terminer mon baccalauréat en études françaises. Ce n'est pas le genre de livre que je regarde lorsque je recherche une lecture, ni le genre de livre qui m'interpelle. Pourtant, je vais m'efforcer de faire une critique juste pour ce livre qu'on m'a obligé à lire.
Ce recueil cimente le fait que je n'ai aucunement la sensiblité pour comprendre la poésie délinquente d'une autre personne. J'ai dû aller faire des recherches sur internet suite à ma lecture pour comprendre ne serait-ce qu'un soupçon de ce que l'auteure a tenté de dire. Ce n'est définitivement pas mon genre littéraire préféré ou mon genre de poésie.
"dans des maisons toutes pareilles les femmes brodent ton futur sur des mocassins qu'elles vendent aux touristes. La lumière est là comme elle manque. Timushum m'a dit : "juste les orages parlent encore des vraies affaires.""
"jour et nuit les chiens jour et nuit le pissenlit pousse dans la craque du béton et devant le lac, une chance, le lac."
"les humains ont des couleurs de pas de bon sens comme la viande en dessine au soleil."
"La ouananiche demeure en lac, alors que le saumon atlantique migre en mer pour une partie de son cycle vital. Excepté cette différence, la ouananiche et le saumon atlantique sont la même espèce."
"sur la rue principale nous dessinons la migration du gibier et les courbes de la Bourse à la craie nous mettons sous verre"
Frayer m'a ouvert la porte sur le style imagé et percutant de Marie-Andrée Gill, une poétesse Innue.
J'aime que le côté cru et le triste se mélangent au drôle et à la métaphore. Il y a dans ces strophes une sincérité touchante et une évidence dans le propos. À ce jour, c'est le recueil de poésie que j'ai préféré dans ma vie.
Tellement de belles pépites à noter mais voici un petit extrait : "J'ai dans le ventre un ski-doo la nuit sur l'asphalte avec toutes les étincelles que ça peut faire."
Un livre qui se lit comme un bon verre d’eau après une longue course.
La poésie de Marie-Andrée Gill se lit de façon très organique; elle a le don de nous transporter facilement dans son univers. Elle présente sa réalité teintée de ses expériences dans une réserve ilnue et de l’influence non-négligeable de la culture pop québécoise.
Le language québécois et familier de Marie-Andree Gill me permet de renouer avec la poésie en général. L'image de frayer et des ouananiches m'a parlé émotionnellement, comme mon père m'a souvent raconté des fables autochtones sur les poissons en étant enfant.
Cependant, je ne pense pas que cela peut plaire à un public général. L'avis est partagé autour de moi.
Le corps est sans contours, rien ne le circonscrit à l’écart de la forêt, de la beauté du lac et du béton qui avale tout. C’est un corps de chair, de sang, de sexe, de rivière et de bois. C’est un corps territoire.
La poésie de Gill nous transporte dans cette vaste intimité collective qu’est le monde que l’on habite.
La poésie de Marie-Andrée Gill : toujours entre nature brute et culture populaire adoptée. Enlevante, déroutante et si adroitement imagée. Je relirai souvent.
J’ai décidé de rédiger une critique 3 pour 1, car mon appréciation de ces trois recueils de poésie de Marie-Andrée Gill, poétesse ilnue du Lac-Saint-Jean, a été teintée par le fait que je les ai lus l’un après l’autre, d’un seul souffle.
J’écris «recueils», mais je trouve ce terme erroné. Les trois ouvrages ne sont pas une somme de fragments parfois parallèles, parfois perpendiculaires, avec des fils manquants pour tout rattacher. Non, ce sont des œuvres entières, indivisibles, avec des propos frappants. Ce qui ne peut être le résultat que d'une démarche artistique incarnée, par naïveté ou par minutie.
En poésie, on peut échapper une image ou un message, chercher un sens trop linéaire, trop vite. En lisant ainsi, on se met des barrières, lesquelles peuvent nuire au plaisir de plonger avec confiance dans l’univers proposé par l’artiste. Si l’on continue la lecture, les images finissent par apparaître, ou on finit par les dessiner à notre sauce. L’appréciation en cours de lecture est donc futile; c’est l’impression qui nous habite au moment de ranger le livre – et dans les jours suivants, parfois – qui fait foi de tout.
Tout ce préambule pour louanger le travail de Marie-Andrée Gill, qui laisse une trace véritable. Une œuvre engagée de manière subtile, très personnelle aussi, universelle, malgré les couleurs de son identité. Une parole parfaitement dosée, accessible, vraie et puissante dans sa simplicité. Bravo!
«Frayer», c’est le va-et-vient des vagues du Piekuakami, parfois calme, parfois agité. Une mouvance constructrice de l’identité d’une humaine avec un héritage, un présent et une destination plus ou moins connue. Avec une vieille eau dont elle est l’enfant, une eau propre en bataille et cette eau calme à laquelle on aspire toutes et tous.
«Je suis un village qui n’a pas eu le choix.»
«Je suis dans le niveau sous l’eau d’un jeu vidéo au moment où la petite musique de quand t’as pu d’air commence.»
«Et devant le lac, une chance, le lac.»
Publiée quelques mois avant, «Béante» est une œuvre plus engagée, sans être politique. Une œuvre qui diagnostique, qui peint un tableau de la tradition, de l’identité et de la survie. C’est aussi un appel à la cohabitation. Non, au partage. À l’échange. À l’enrichissement humain.
«Nous sommes ce qui nous précède nous sommes toujours là nous sommes.»
«Je suis tous mes ancêtres en aléatoire.»
«Cueillir des plumes direct dans les veines tant qu’à y être greffer des pattes de lapin aux chats noirs.»
Enfin, dans «Chauffer le dehors», le plus récent ouvrage, on s’éloigne de l’identité, bien qu’elle demeure en trame de fond, prête à teinter un mot de ses couleurs. Marie-Andrée Gill se dévoile autrement, avec une réalité universelle: l’amour échoué.
«Si vous vous demandez où je suis maintenant, c’est moi, juste là, avec le sourire forcé d’une patineuse artistique qui se relève après avoir fini son triple axel sur le cul.
«L’amour c’est une forêt vierge pis une coupe à blanc dans la même phrase.»
«Le dehors est la seule réponse que j’ai trouvée au-dedans.»