Le pardon est mort dans les camps de la mort. Qui a bien pu écrire une telle phrase ? Un philosophe, un Juif, un Français, un moraliste ? Oui, mais surtout un survivant, un survivant mystérieusement sommé de protester sans relâche contre l'indifférence. Sous le titre L'Imprescriptible, se trouvent en effet réunis deux textes : Pardonner ? et Dans l'honneur et la dignité, parus respectivement en 1971 et 1948, qui tentent de maintenir « jusqu'à la fin du monde » le deuil de toutes les victimes du nazisme, déportés ou résistants. On pourrait facilement justifier cette réédition en relevant dans l'actualité les signes multiples qui indiquent la défaillance de la mémoire et de l'histoire, mais ce serait trahir le caractère intempestif et métaphysique de ce qu'écrit ici Jankélévitch. Le philosophe de l'occasion n'a jamais cru bon d'attendre l'occasion d'exprimer sa colère et sa pitié. C'était toujours pour lui le moment de rappeler que la mémoire de l'horreur constitue une obligation morale.
Vladimir Jankélévitch était un philosophe et musicologue français. Il était le fils de Samuel Jankélévitch, un médecin juif ukrainien qui s'était installé en France après avoir fui les progroms antisémites.
Vladimir Jankélévitch was a French philosopher and musicologist. He was the son of Samuel Jankélévitch, a Ukrainian Jewish doctor who moved to France after fleeing the anti-Semitic pogroms.
Pour la thèse qu’il développe, cet ouvrage aurait sans doute mérité 5 étoiles. Cependant, je ne lui en ai donné que 4 en raison de son style lourd et répétitif.
En écrivant cela, je me dis que c’est sans doute voulu par Vladimir Jankélévitch. Pour soutenir son discours et nous faire bien comprendre que l’Holocauste est un crime non seulement imprescriptible mais également impardonnable, il a besoin de cette pesanteur. Elle sert à contrer la légèreté de ceux qui cherchent des raisons et relativisent.
Le plus triste avec l’humanité, c’est qu’après toutes ces années, son ouvrage reste brulant d’actualité. Cela fait froid dans le dos.
"Oggi, quando i sofisti ci raccomandano l'oblio, noi mostreremo con forza il nostro muto e impotente orrore davanti ai cani dell'odio; penseremo intensamente all'agonia dei deportati senza sepoltura e dei bambini che non sono tornati. Perché questa agonia durerà fino alla fine del mondo." (p. 50)
Impossible de "noter" une telle oeuvre. Dans ce recueil de deux textes, c'était Dans l'honneur et la dignité qui m'intéressait, et ce texte est d'une puissante rare. Tout empli de rage, d'une rage tremblante, Jankélévitch pointe avec justesse les responsabiltiés de la défaite de 1940 et de l'avachissement de la Libération de 1945. Bien sûr, il est quelque peu injuste envers l'ensemble de la nation, mais il n'en reste pas moins que cette colère face aux lâchetés, face en plus à la morgue des "élites" coupables a été non seulement justifiée à posteriori, mais nous permet de mieux comprendre ce que fut la guerre froide pour elles : une divine opportunité. Voir, le résultat de leurs efforts ?
Bref, un texte majeur pour comprendre la période 1945-1947 et comment la bourgeoisie de droite a pu si rapidement effacer le souvenir de son ignominie.
Pas facile pour un moraliste de pardonner l'impardonnable. Même Vladimir Jankélévitch n'y parvient pas. La même personne qui a fait l'apologie du pardon dans "faut-il pardonner" valide avec brio l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, et en particulier de celui contre les juifs qu'il juge en tout point "unique". Il ne pardonne pas au peuple allemand. Immense déchirure qu'on peut résumer par la fon de son propos : "Le pardon est fort comme le mal mais le mal est fort comme le pardon".