Le Capitaine Alcaino commande le Doukh, la dernière grande nef de guerre indépendante de l’Amas. Mais les mondes de l’Amas sont de plus en plus nombreux à accepter le contrôle de la Suprématie, qui impose la paix à ses mondes en contrôlant leur façon de penser. Ainsi, quand la Ville d’Art appelle à l’aide le Doukh, Alcaino accepte le contrat même s’il soupçonne que les Suprémates l’attendront de pied ferme. Il réussit à les chasser mais la riposte des Suprémates ne se fait pas attendre… Tous les habitats spatiaux du système rebelle sont impitoyablement détruits. Ce massacre amène Alcaino à soumettre à ses troupes un projet insensé : détruire la capitale des Suprémates au cœur de l’Amas, sur la planète la mieux protégée de l’univers humain… Mais, pour qu’une nef de guerre isolée ait une chance de réussir, il lui faut profiter d’une boucle temporelle et utiliser des bombes thermonucléaires dont la fusion serait catalysée par la matière étrange. C’est le début d’une quête qui conduira Alcaino et son équipage jusqu’aux limites de ce qu’ils croyaient possible.
Une sacrée histoire que celle-là, et pas évidente à résumer en plus. Commencons donc par le début. Dans un futur lointain, l'humanité a conquis les étoiles (ou plus exactement une bonne partie de la galaxie). Elle est rentrée en contact avec des espèces extra-terrestres avec lesquelles elle vit globalement en bonne intelligence. Ces extra-terrestres forment évidement un bestiaire fantastique : des espèces de volatiles génétiquement éduqués pour être des soldats d'élites, des crabes intelligents, et d'autres créatures tout aussi bizarre. Dans cette galaxie multi-raciale, une civilisation, la Suprématie, émerge grâce à des implants garantissant que chaque citoyen partage avec le reste de la civilisation une vision commune (ou, pour les opposants à cette civilisation, une pensée unique). La plupart des gens y adhèrent, sauf quand leur expérience personnelle va brutalement à l'encontre de cette vision partagée. C'est le cas du héros de ce roman, Konstantin Alcaino. Celui-ci est un ancien pilote de chasseur spatial qui, suite aux atrocités des guerres de contact, s'est retrouvé banni de la suprématie. Évidement, comme tout proscrit, il meurt d'envie de se venger. Pour cela, il va s'enrôler dans un vaisseau mercenaire - le Doukh, dont il va devenir le commandant, et qu'il va lancer dans un assaut ... compliqué. En lisant tout ça, vous devez vous dire que je suis fou et que je dévoile toute l'intrigue de ce roman. Non. Parce qu'en fait, ce que raconte ce roman, c'est en partie ça, mais également le voyage que fait le Doukh à travers l'amas (le paquet d'étoiles suffisamment proches pour pouvoir y voyager rapidement) à la recherche d'armes et d'alliés capables de l'aider dans sa lutte contre la suprématie, mais même ça est une approximation d'une réalité bien plus complexe. D'ailleurs, j'ai bien l'impression que cette histoire de réalité plus complexe est réellement le coeur du roman. En effet, en tant que lecteur, on a envie de voir Alcaino comme un personnage positif. Pourtant, il asservit les Dikiks et en fait sa troupe privée - et il n'hésite pas à leur ordonner de s'empaler (littéralement) sur les armes de ses adversaires quand. Il n'hésite pas non plus à manipuler de la façon la plus abjecte ce type qu'il va chercher sur une planète morte. Quant au sort qu'il réserve à la planète des suprémates, je crois qu'il s'agit du seul chapitre dans lequel les auteurs se laissent clairement aller à la complaisance ... Même si je pense qu'il s'agit là d'un procédé stylistique visant à nous montrer une dernière fois à quel point Alcaino n'est définitivement pas un saint. Et le plus incroyable, c'est que cette réalité plus complexe que les apparences, et en tout cas non unique, est aussi utilisé dans bien d'autres parties du roman. Je vais m'attacher à deux aspects qui me semblent particulièrement édifiants. Vous avez compris j'imagine qu'Alcaino lutte contre la pensée unique que veulent imposer les suprémates au reste de l'univers. Bien. L'objection d'Alcaino (qui est à mon sens vrai, même si les moyens qu'il utilise ne sont pas les plus adéquats à mon sens), est qu'un point de vue unique, même porté par une civilisation entière, ne peut pas embrasser la réalité aussi bien que deux points de vue divergents, et donc que la discussion qu'ils peuvent provoquer. Autrement dit, la réalité est bien plus complexe que ce que ce point de vue unique ne permet de comprendre. Dans un autre domaine, l'IA qui anime le Doukh, Mnémosyne (la mémoire), est un personnage des plus singuliers. En effet, dans ce futur lointain, chacun ou presque (seul Alcaino en semble dénué) dispose d'implants cybernétiques lui permettant d'interroger le web local, ou de laisser son intellect se déployer dans des processeurs informatiques plus rapides. Ca peut provoquer des pertes d'identité si on ne maîtrise pas le processus, mais Lynga, une mercenaire spécialement entraînée pour ce genre de communion informatique, arrive très bien à s'intégrer dans Mnémosyne. Pourquoi ? Eh bien par exemple pour associer à la complétude du point de vue informatique l'intuition du point de vue humain, et donc précisément à marier deux points de vue divergents pour mieux appréhender un problème. Un peu étourdissant, ces exemples, non ? Ils peuvent laisser penser qu'il s'agit d'une oeuvre très introspective, alors qu'il n'en est rien, et c'est là une des forces de ce roman, d'ailleurs : il marie dans ce gros paquet de pages un space opera riche en combats (qui n'ont rien à envier la Flotte perdue de Campbell - les mêmes types d'armes y sont utilisés) ou en voyages exotiques (la visite de la ville d'art ou même la poursuite de la flotte fantôme) une authentique réflexion sur la réalité et la nécessaire culture de la différence. J'aimerais même prendre quelques centaines de lignes supplémentaires pour mieux vous parler d'autres aspects de ce roman, mais je crois que ca n'est pas la peine. Vous avez sans doute déjà compris qu'à mon avis ce roman est une lecture des plus nécessaires, sur laquelle vous devriez déjà vous jeter.
For my English public: pray, PRAY! that this novel will be translated in English and published as fast as possible! You don't know what you're missing.
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Pour mon public francophone. J'ai tellement aimé ce livre de Laurent McAllister, que j'en ai fait
1) une série de haikus : voir sur mon blog de Goodreads.
Le fruit longuement muri (17 ans) de deux auteurs chevronnés, Suprématie est un mélange jamais fade d'action, de réflexion sociale, parsemé d'humour. Amour, héros tourmentés, trahison, bagerre, doute, bataille spatiales contre un super Empire, tout y est. Et des bons personnages féminins: Mallia la terrible, Lynga en communion avec l'intelligence du vaisseau, inoubliables.
J'ai tenu un registre des apports que j'ai attribué à l'une ou l'autre des têtes de cet auteur bicéphale, mais parfois leurs styles se soudent si bien ensemble que la distinction est difficile!
Jean-Louis Trudel joue avec les sciences physiques et assoie une solide histoire du futur sur des références encyclopédiques en début de chapitre, un clin d'oeil à quelques auteurs de l'Age d'or de la SF; Yves Meynard rend les personnages touchants avec leurs conflits intérieurs, quelle que soit leur allégeance (pour ou contre la Suprématie). Mais ce serait simplifier!
Les lieux sont savamment construits, que ce soit le vaisseau Douck-Harfang qui transporte avec lui des reconstitutions de trésors culturels humains, ou la planète Dorada entourée d'une accélérateur de particule, où les technologies extrêmement dangereuses de conversion aux idéaux de la suprématie... Et les races fourmillent, des dikkik de la couvée fidèles à Alcaino, à un chasseur de primes qui intègre des qualités biologiques de 34 espèces en son corps.
Mais les cadeaux ne s'arrêtent pas la. Le mot "sophonte" désigne des êtres pensants de toute races. C'est une trouvaille.
Le roman, pour moi, pose la question cruciale, qu'on s'est tous posés devant les intégrismes religieux, les extrémistes de tout poil: Heille, ce serait donc cool si on pouvait s'entendre, si tout le monde partageait une même vision de la réalité. Tadaaaaam! Voici les filtres de réalités, des greffons qui s'infiltrent jusqu'aux neurones pour changer votre façon de percevoir le monde. (Explications par le personnage en p. 157-158).
Au début de ma lecture, je trouvais que la Suprématie tenait lieu des vilains "communisss" des romans d'une certaine époque. Puis, j'ai cru voir les borgs de Star Trek ("Resistance is futile"). Mais la conversion par les filtres de réalité est plus subtile, elle n'impose pas une idée, mais elle module les perceptions de l'univers.
Le problème, c'est... quelle réalité choisir pour former cette base sur laquelle tout le monde va s'entendre? Et qui peut en abuser? A-t-on vu un Suprémate (i.e. un dirigeant) mettre en pratique ces nobles idéaux? se demande le capitaine Alcaino. Et la Suprématie ne lésine pas sur les moyens de destruction de ceux qui lui résistent. L'effroi est une arme importante...
"Les différences s'abolissaient dans la soumission à un même idéal grâce au service d'un but commun." p. 158. Il n'y a pas de crime sur ces mondes "borg", mais pas d'initiative non plus. Les différences entre les gens, qui enrichissent un débat de société, sont gommées.
Ayant douté, témoin du meurtre d'un enfant, des bases de la Suprématie, Alcaïno est enfermé dans une nef des fous (allusion à un célèbre titre) dont il s'évadera pour rejoindre le Harfang dont il deviendra le capitaine. Son absence d'implant fait qu'il choisit des plans audacieux, que les stratèges suprémates n'oseraient imaginer.
L'évolution du personnage principal montre un brin de folie qui s'insinue en lui. Après une action traumatisante des Suprémates, Alcaino (Caïn?) jure qu'il ne laissera pas les choses comme cela. "Pardonner, laisser le temps faire son oeuvres, c'est pour les faibles. " page (arrgh! Mes filtres de réalité m'empêchent de retrouver la page!) Bref, on suit le capitaine Alcaino, et son équipage, dans une quête qui permet de visiter quelques mondes originaux.
Vers la fin, le Harfang est équipé pour veiller tard, pis on passe aux vraies affaires: i.e. attaquer les Suprémates! Et pourquoi faire simple quand on peut envoyer le Harfang se faire sauter 41 fois en autant d'itérations ? Le duo Mc Allister ne niaise pas sur les boucles temporelles. Puis, le doute se met à ronger le capitaine. Ah làlà! On n'est pas sorti du Schwartzchild!
On ne manque pas non plus de passages d'humour, quand la capitaine offre 50 primes de mort violente à son équipage, ou quand la couvée de Dikkiks qu'Alcaino élevait veulent regarder leur émission de TV (ou l'équivalent) poche...
Un bel extrait p. 486
Leurs offensives mémétiques fonctionnent le mieux contre une population paniquée et qui peine à distinguer le vrai du faux; c'est pourquoi les mondes les plus vulnérables à l'infiltration sont ceux qui disposent d'une infosphère omniprésente, incontrôlée, à très large bande passante.
Coudonc, ca me fait penser à quelque chose ici, mais quoi? ;^)
On pleure au terme de cette longue quête, parce qu'on se rend compte qu'on vient de finir cet excellent livre!
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Un space opera intelligent d’une très grande qualité et à l’univers intéressant, mais dont les scènes d’action peu inspirées lui font perdre une étoile. Néanmoins, il s’agit de l’un des meilleurs romans de science-fiction que j’ai lu et de l’un de mes romans favoris. Review complète sur lilitherature.com