Thomas Desforges > Recent Status Updates

Ô Seigneur, ayez pitié de nos âmes — et la fumée de cette pipe se métamorphosa en illumination soudaine : ce père monumental m’acceptait et m’avait toujours accepté, ainsi, après les événements d’hier… la solitude… la sensation (comme dit Proust, béni soit-il) « indiciblement délicieuse » de ce souvenir — car à mesure que les souvenirs vieillissent, tel le vin ils se raréfient, et …

… Rien à répondre à ça !

…— la musique semblait dire : « Il reste encore quelques petites choses auxquelles s’accrocher, j’ai pensé qu’il fallait te rassurer là-dessus — ah ah — mais tu n’obtiendras même pas ça — bien que nos âmes débordent de joie (interlude bop) nous ne sommes que de la merde, nous allons tous mourir, bouffer les pissenlits par la racine, d’ailleurs nous sommes déjà en train de mourir. » …

… l’associant à d’autres combinaisons splendides et illimitées — battre les vieilles cartes perforées de l’âme dans la démence hallucinée du sommeil —

De même, nous qui allons au bout des folies de la nuit (parties carrées, conversations de trois jours, virées transcontinentales en voiture et sans étape) connaissons cette morosité temporaire due au manque de sommeil — qui nous rappelle qu’on peut arrêter tout cela — mieux, elle nous rappelle que l’instant est insaisissable, déjà passé, et qu’en dormant nous pouvons le ressuciter en …

… le lundi matin représente pour les bosseurs ambitieux.

Puisqu’elle doit s’occuper d’un bébé, nous partons pour New York après quelques bières préliminaires à ce vendredi soir excitant, debout à côté des tabourets (comme dans les bars de Cody à Denver), pérorant et riant à gorge déployée (je ne me doutais pas une seconde que c’était la première soirée d’une biture de cinq jours) — car le vendredi soir est aux fêtards du week-end ce que …

On ne fait que filer vers la tombe, le visage ne recouvre le crâne qu’un temps. Étirez donc ce couvercle crânien, et souriez.

… des fantômes traversant votre regard, les vagabonds possèdent ce même désespoir grave, concentré et aventureux lorsqu’ils s’arrêtent sur des jambes raides devant un mur de ruelle pour regarder droit devant eux…

…ils viennent de loin, échangent des propos inaudibles, et lorsqu’ils repartent ensemble, ils se déplacent avec la même tristesse, à croire que leur aventure commune les persécute d’une souffrance attentive et partagée, mais les voilà bientôt repartis dans leur nuit intime, au-delà du monde qui demeurera le vôtre quand ils auront disparu pour ne plus jamais revenir, arrivés et repartis comme …

… de ces temps ; dans quelques-uns vous existez et moi pas ; dans d’autres, moi, et pas vous ; dans d’autres, tous les deux. Dans celui-ci, que m’accorde un hasard favorable, vous êtes arrivé chez moi ; dans un autre, en traversant le jardin, vous m’avez trouvé mort ; dans un autre, je dis ces mêmes paroles, mais je suis une erreur, un fantôme.

À la différence de Newton et de Schopenhauer, votre ancêtre ne croyait pas à un temps uniforme, absolu. Il croyait à des séries infinies de temps, à un réseau croissant et vertigineux de temps divergents, convergents et parallèles. Cette trame de temps qui s’approchent, bifurquent, se coupent ou s’ignorent pendant des siècles, embrasse toutes les possibilités. Nous n’existons pas dans la majorité…

Je pensais à un labyrinthe de labyrinthes, à un sinueux labyrinthe croissant qui embrasserait le passé et l’avenir et qui impliquerait les astres en quelques sorte. Plongé dans ces images illusoires, j’oubliai mon destin d’homme poursuivi. Je sentis, pendant un temps indéterminé, que je percevais abstraitement le monde.

… vade-mecum ne serait pas aisé : chaque feuille apparente se dédoublerait en d’autres ; l’inconcevable page central n’aurait pas d’envers.

Letizia Alvarez de Toledo a observé que cette vaste Bibliothèque était inutile : il suffirait en dernier ressort d’un seul volume, de format ordinaire, imprimé en corps neuf ou en corps dix, et comprenant un nombre infini de feuilles infiniment minces. (Cavalieri, au commencement du XVIIe siècle, voyait dans tout corps solide la superposition d’un nombre infini de plans.) Le maniement de ce soyeux …

L’écriture méthodique me distrait heureusement de la présente condition des hommes. La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes…

… commun à tous les romans.) De ces romans, l’un est de caractère symbolique ; un autre, surnaturel ; un autre, policier ; un autre, psychologique ; un autre, communiste ; un autre, anticommuniste, et cetera. Un schéma aidera peut-être à en comprendre la structure.

… Le troisième, également rétrograde, rapporte les événements d’une autre veille possible du premier ; le quatrième, ceux d’une autre. Chacune de ces trois veilles (qui s’excluent rigoureusement) se ramifie en trois autres veilles, de caractère très différent. La totalité de l’ouvrage comporte donc neuf romans ; chaque roman, trois longs chapitres. (Le chapitre premier, naturellement, est …

… le coup. (Appearance and Reality, 1897, p. 215.) Les mondes que propose April March ne sont pas régressifs ; ce qui l’est c’est la manière d’en raconter l’histoire. Régressive et ramifiée, comme je l’ai déjà dit. L’ouvrage comprend treize chapitres. Le premier rapporte le dialogue ambigu de quelques inconnus sur un quai. Le second rapporte les événements de la veille du premier. …

… les lois arbitraires, l’ennuie. » Le nom même est un faible « calembour » : il ne signifie pas « marche d’avril » mais littéralement « avril mars ». Quelqu’un a perçu dans ses pages un écho des doctrines de Dunne ; le prologue de Quain préfère évoquer ce monde inverse de Bradley, dans lequel la mort précède la naissance, la cicatrice précède la blessure et la blessure précéde …

Encore plus hétérodoxe est le « roman régressif, ramifié » April March, dont la troisième (et unique) partie est de 1936. Personne, en jugeant ce roman, ne se refuse à découvrir qu’il s’agit d’un jeu ; il est légitime de rappeler que l’auteur ne l’a jamais considéré autrement. « Je revendique pour cette œuvre, lui ai-je entendu dire, les traits essentiels de tout jeu : la symétrie, …

… disait-il alors. Ne pars pas.
— Pourquoi dis-tu des choses comme ça. Pourquoi cherches-tu la bagarre. »
Il s’asseyait sur le lit et se prenait la tête à deux mains. « Pour voir si tu es encore en vie. »
Dans la chaleur, certains matins, elle se réveillait avec les yeux lourds et gonflés et elle se demandait si elle avait pleuré.

… J’en ai marre de tes cernes sous les yeux et de tes veines apparentes sur les bras et des rides qui commencent à te marquer le visage et de ta foutue dépression ménopausique…
— Ne dis pas ce mot-là.
— La ménopause. Vieille. Tu vas devenir vieille.
— Continue comme ça et je m’en vais.
— Va-t’en. Bonté divine, va-t’en donc. »
Elle regardait toujours le paysage. « Très bien.
— Non,…

« Qu’est-ce qui se passe ? » demandait Carter en la voyant assise dans le noir à deux ou trois heures du matin en train de regarder le lit asséché de la rivière. « Qu’est-ce que tu veux ? Je ne peux rien faire pour toi si tu ne me dis pas ce que tu veux.
— Je ne veux rien.
— Dis-moi.
— Je viens de te le dire.
— Alors merde. Va te faire foutre. J’en ai jusque-là de toi. J’en ai marre. …