More on this book
Community
Kindle Notes & Highlights
Tout consistait à passer tranquillement d'un monde à l'autre sans y penser. Ne s'étonner de rien.
D'une classe à l'autre, à l'école libre, c'était toujours les mêmes filles. Elles ont admis mes bonnes notes et ma place de première. C'était ma liberté, ma chaleur, ma carapace. Redevenue la petite reine. La maîtresse me pardonne tout, les retards en classe, les bavardages, les fautes d'éducation, à cause des dix sur dix, des leçons toujours sues.
Je porte en moi deux langages, les petits points noirs des livres, les sauterelles folles et gracieuses, à côté des paroles grasses, grosses, bien appuyées, qui s'enfoncent dans le ventre, dans la tête, font pleurer dans le haut de l'escalier sur les cartons de biscuits, rigoler sous le comptoir...
C'était tout artificiel, un système de mots de passe pour entrer dans un autre milieu.
Les inviter, j'aurais préféré tomber malade. Ma mère ne se rendait pas compte, elle croyait que j'étais pareille aux autres, puisqu'on était ensemble à l'école. Elle disait tout le temps « tu les vaux bien » quand je paraissais timide. Elle aurait pas dû le dire, je voyais bien que ça signifiait le contraire.
J'étais un petit monstre, une sale gamine, perdue tout au fond... Je les haïssais tous les deux, j'aurais voulu qu'ils soient autrement, convenables, sortables dans le véritable monde.
Toutes les humiliations, je les mets sur leur compte, ils ne m'ont rien appris, c'est à cause d'eux qu'on s'est moqué de moi. Leurs mots dont on me dit qu'ils sont l'incorrection même, « incorrect », « familier », « bas », mademoiselle Lesur, ne saviez-vous pas que cela ne se dit pas ? La faute, c'est leur langage à eux, malgré mes précautions, ma barrière entre l'école et la maison, il finit par traverser, se glisser dans un devoir, une réponse. J'avais ce langage en moi, j'avais fourré mon nez dans les gâteaux à pleines mains, j'avais rigolé devant les saoulots... Je les haïssais d'autant
...more
s'échapper son verre de pernod. Eux, ils ne changent pas. Un monde. Ces vacances-là, je trouve le joint, la manière la plus sournoise de m'en sortir, savoir les choses que les autres ne savent pas, foncer tête baissée dans les études, la littérature, surtout la littérature, pour flotter au-dessus de tout le monde, les emmerder. La vraie supériorité.

