La grêve étudiante, une crise générationnelle?
Presque deux semaines depuis mon billet sur le mouvement social étudiant. Deux semaines à suivre ce qui se passe au Québec, via Twitter, Facebook et les journaux en ligne. Deux semaines que j’investis de mon temps et énergie dans cette cause qui me tient beaucoup à coeur, qui me prend aux tripes.
Ce débat social qui, à l’ère du web 2.0, amène tout le monde à se prononcer, donne comme résultat un débat exceptionnel entre Québécois pure laine ayant des croyances culturelles différentes, voir opposées. La chicane a l’air bien prise dans les foyers Québécois, où discutent en personne ou virtuellement ceux qui sont pour, et ceux qui sont contre cette grève. Les gens manifestent dans la rue, et sur le web, où tous peuvent être entendus. On y voit d’ailleurs de tout, des gens qui Tweet aux 3 minutes, s’exprimant en 140 caractères, cela 10 heures par jours — impressionnant quand même.
Depuis quelques semaines, Facebook et Twitter sont devenus une arène, un place publique où je discute avec mes amis, et où j’ai terminé ma journée d’hier en presque-engueulade avec une tante.
Tes tantes sont sur FB?
C’est que oui. Toute la famille est convertie : mon père, ma mère, mon frère, une cousine et un cousin, ainsi que leurs conjoint(e)s. Les 2 soeurs de mon père y sont aussi.
Donc, c’est assez intéressant car tout ce petit monde représente des générations différentes, de 33 à 65 ans, et je peux vous dire que le fossé générationel, et culturel, il est grand, et creux. Encore plus que je ne le pensais, à mon grand étonnement.
J’était loin de m’imaginer qu’un jour, je serais à deux doigts de m’engueuler avec mes tantes sur Facebook.
#Check.
Je suis confronté à des idéologies que certaines amies qualifient d’exaspérantes. Certaines sont exprimées de manière franches et directes, et d’autres ressemblent à des copiers-coller de ce que Richard Martineau a dit sur LCN hier. Je me sent prise entre des gens cultivés, posés et réfléchis, et des réactionnaires qui chialent contre les manifestants qui briment leur version de la “démocratie”. On les dérange parce qu’on veut changer le monde.
Je réfléchis à ce qu’ils essaient de faire passer comme message, car ce sont des gens que j’aime, et j’essais de comprendre leur point de vue.
De fil en aiguille, à grands coups de “mais c’est notre argent!”, et de beaucoup de “!!!” et de “?????”, j’ai compris que pour certains babyboomers, et leurs enfants qui adoptent sans questionner le raisonnement de leurs parents, la démocratie a comme base le modèle judéo-chrétien dans lequel ils ont grandit : il faut à tout prix se soumettre et obéir à l’autorité. Se mettre à genoux quand on nous le demande.
De là je peux comprendre toute l’indignation de mes tantes face à cette génération qui refuse la soumission, qui refuse de retourner sur les bancs d’école comme pôpa Jean l’a ordonné.
De résister à l’autorité, ça ne se fait pas, et c’est sur cela que je me fais sermonner malgré mes arguments. Mes tantes ne comprennent pas que le fossé qui les sépares des jeunes manifestants est immense. À leurs yeux, les manifestants sont individualistes, égoïstes, et veulent tout cru dans le becs. À mes yeux, c’est eux qui sont individualistes et égoïstes.
Quand je lis leurs arguments, je me dis qu’on est rendu au point où cet écart générationel et culturel est tellement grand que les babyboomers ne devraient peut être même pas être impliqués dans les décisions concernant l’éducation, que les étudiants sont peut-être assez matures pour décider comment leurs universitées devraient être gérées.
Je m’inquiète des décisions du citoyen Québécois dont les valeures sont celles de citoyens soumis, peu cultivé, qui n’a jamais mis les pieds dans une manif, ne serait-ce que pour la journée de la terre. Ces derniers, une masse passive, sont des pions de luxe pour le gouvernement : ils consomment beaucoup, paient leurs impôts, ont peu ou pas de conscience environnementale, et sont trop fatigués par leurs 40 heures au bureau pour se battre contre quoi que ce soit. Un peuple facilement manipulable dont les racines sont celles de gens colonisés, qui sont (sans en être conscient) heureux, voir même reconnaissants, qu’on leur laisse le droit d’exister. Rien d’autre ne leur importe que d’avoir la grosse paix sale. Ils ont travaillé dûr toute leur vie pour un bonheur différé, le moment dont ils rêvaient, leur retraite. Et les étudiants les dérangent.
Certains d’entre eux argumentent que les jeunes eux ont tout eu cru dans le bec. Cet argument met la lumière sur un coté sombre de la société québécoise : tes grands-parents, arrières grands-parents et moi même ne l’avons pas eu facile, alors pourquoi aurais tu droit toi, jeune génération de l’ère moderne, à mieux que nous?
Ces gens critiquent des jeunes qui sont de toute évidence plus intelligents et honnêtes que leur gouvernement. Ils les traitent d’égoïstes, d’individualistes, fesant rater une session à ceux qui veulent retourner sur les bancs, en oubliant que le vote de la grève est lui un procédé démocratique.
Hors, ces jeunes offrent des propositions et un projet social à long terme. Ils sont là debout depuis deux mois, réfléchissent et travaillent sur des propositions, sans rémunération. Ils offrent au Québécois la chance de réduire la corruption et de reprendre en mains une partie du système, soit l’éducation. Cela n’est en rien individualiste. Ceux qui se positionnent contre les manifestants sont souvent les gens à pointer comme citoyens-roi et individualistes, sans vision et fatalistes.
Ces citoyens, les “Verts” qu’ils se nomment sur Twitter, invoquent une éventuelle faillite du Québec, ce qui n’arrivera jamais si les ressources sont justement réparties, et c’est là qu’est le nerf de cette grève étudiante (et de l’économie mondiale).
Ils chialent contre la casse qui sévit lors des manifestations, un argument pauvre quand tous savent que manifestation égal souvent casse, que l’on pense à la St-Jean-Baptiste ou lorsque le Canadien gage la coupe où certains en profitent pour foutre le bordel.
Ils disent qu’on doit attendre les élections, et on verra qui est le plus fort.
Un raisonnement de cromagnon.
Assis-toi, et attend ton tour. Hors, ce tour n’arrivera jamais car le gouvernement fait tout en son pouvoir pour malhonnêtement mettre des bâtons dans les roues de ce mouvement novateur.
Les grands perdants la dedans, ce sont les citoyens du Québec et leurs générations à venir, qui perdent une occasion en or, celle de débuter la refonte d’un système désuet pour passer dans une ère nouvelle. Bâtir une maison avec des matériaux qui permettraient d’avoir une maison centenaire en 2112 au lieu d’utiliser du bois pourris.
D’être un exemple, et non un mouton, aux yeux du reste de l’Amérique.
p.s : En ce qui concerne mes tantes, je les aimes, même si nos idéologies sont différentes.
p.p.s : je n’ai pas utilisé le mot “guerre” dans mon titre, mais bien crise : ce moment sombre, riche en questionnements, précédant la prise de décisions qui nous fera grandir collectivement.


