Fabrice Colin's Blog, page 14
April 6, 2014
vers chez les morts - un nouveau point

Où en est-on ? Une soixantaine de textes reçus à ce jour. Terribles, parfois, émouvants presque toujours, forts la plupart du temps, habités par un sentiment d'urgence vital. Un éditeur s'intéresse d'assez près au projet. Je dois encore discuter avec lui. Pas vraiment du "quand" : plutôt du "comment" - on ne se lance pas à la légère dans l'accompagnement de ces cris. Des questions sont soulevées, passionnantes. Qui suis-je, en l'état, quelle est ma position, quel est la matière du projet, son essence ?
J'avais, au moment de lancer ce projet, indiqué une deadline. Elle est aujourd'hui passée. Ceux qui voudraient envoyer des textes peuvent encore le faire - quand j'aurai une date butoire officielle, je la ferai connaître.
Merci, en tout cas. Merci à tous ceux qui ont participé, ou entendent le faire maintenant. Cette aventure est allée bien plus loin que je l'aurais pensé, mais elle n'est pas encore terminée.
Réunion (1)
Onze heures de vol de nocturne - j'ai prié les dieux pour ne pas être placé juste à côté d'un petit merdeux vagissant & incontrôlable de moins de 3 ans et mes prières ont été exaucées. Ceci étant, j'ai dormi deux heures, je pense. Essayé de regarder Yves Saint-Laurent (j'ai tenu 20 mn), Walter Mitty (j'ai tenu 30 mn) et réussi à regarder dans son intégralité Les Trois Frères / le retour, un film absolument fascinant qui tient presque de la proposition artistique en ce qu'il ne contient pas le moindre élément comique. D'habitude, quand je regarde des merdes de ce genre (ce qui ne m'arrive, précisons-le, que dans les situations les plus extrêmes), je souris tout de même une ou deux fois. Là, non. Sidérant, ce film. Même pas triste, même pas pathétique. Juste : entièrement non-drôle.
Bref.
Arrivé à Saint-Denis vers 11h, j'ai été accueilli par les épatantes Nathalie et Dominique et conduit directement à mon hôtel de Saint-Gilles - un établissement idéalement situé tenu par un type assez cinglé et rigolo à sa façon, avec lequel je m'entends déjà formidablement bien.
Je pense être l'un des deux clients de l'hôtel. Peut-être le seul. Il me semble qu'il y a un petit chat - faut voir, c'est pas clair.
Je suis allé me baigner tout à l'heure dans une mer à 28° qui vous prive de façon assez implacable du léger frisson dû à l'habituel delta de température entre l'eau et l'air. C'est intéressant, cette impression d'être l'ingrédient principal d'une soupe. Repéré, dans la foulée, le Bar de la marine, institution marseillaise située sur le port et qui diffusera Chelsea-PSG mardi soir ; voilà qui promet.
Début des rencontres demain. On m'a prévenu que j'allais beaucoup manger parce que les élèves ont l'habitude de faire des goûters. OK, les mecs, j'ai pas peur, je suis prêt.
April 3, 2014
atterrissage contrôlé

Demain soir, je m'envole pour La Réunion. Deux semaines de rencontres dans les CDI locaux plus une semaine de vacances. C'est la troisième fois que je me rends sur cette île et je dois dire que j'ai du mal à considérer toute la partie collèges comme un boulot en soi. J'adore les gens là-bas, j'adore l'ambiance - je pars confiant.
Au cas où, sans rire, mon avion serait détourné par des extra-terrestres de la CIA sur une base secrète de l'Oural, je me sens néanmoins comme contraint de vous faire part de mes derniers émois et déceptions culturels, histoire que ce blog achève de remplir la mission qu'il s'était lui-même assigné.
Des livres, pour commencer. Mon sang à l'étude, de Joachim Schnerf chez l'Olivier, sorti hier. Un garçon attend les résultats d'un test VIH et gamberge un peu, on comprend ça. 80 pages bien tendues pleines d'angoisse et de vie - une sorte de Cléo de 5 à 7 livresque qui aurait troqué l'ivresse illusoire de la découverte du soi contre le méchant courage du réel. Ah, et Le Brigand bien-aimé, d'Eudora Welty, chez Cambourakis (lequel éditeur fait l'objet d'une très belle interview dans le numéro 3 du toujours vert Le Chant du monstre - ne manquez pas non plus l'article sur les Mathématiques existentielles). Eudora Welty, donc, qui nous a quittés il y a 13 ans déjà, et qui écrivait comme personne à l'ombre des arbres du Mississippi et des figures éternelles de la mythologie, nous offre avec ce premier roman un conte de Grimm sudiste hanté par une ménagerie fantasque d'Indiens, d'oiseaux et de fauves avides - une merveille, au sens primal du terme.
Un film qui m'a convenablement emmerdé, ensuite : Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines). OK, j'ai toujours considéré la psychanalyse, notamment freudienne, comme une vaste blague chère et pas drôle - "un pâté de mythes grecs", selon le mot cher à Nabokov mais d'accord aussi : je vous accorde que ce n'est pas un argument. Ce qui m'a dérangé, en fait, c'est à quel point la psychanalyse, justement, ne travaillait le film qu'en surface. Dans la vraie vie, le bouquin de Georges Devereux (le psy de Jimmy P.) est censé s'attarder sur, je cite, « l’existence d’une personnalité ethnique liée à une aire culturelle d’une part et l’existence de troubles psychiques commune à tout humain d’autre part." Moi, j'ai eu l'impression que tous les éléments étaient présents dès le départ, bien en place, et que le film procédait non à une exhumation mais à un référencement tout à fait convenu, le "caractère ethnique" de la personnalité de Jimmy se dissolvant gentiment dans des travellings sur les espaces du Kansas. (Je précise, à toutes fins utiles, que j'aime beaucoup Arnaud Desplechin, et pas seulement parce que c'est le frère de sa sœur fabuleuse.)
Autre déception, dans une moindre mesure, The Take Off and Landing of Everything, le dernier album d'Elbow. Vraiment, ça m'emmerde de dire ça, mais il ressemble drôlement au précédent, ce 6e LP, qui ressemblait lui aussi à celui d'avant. Toutes les chansons sont jolies, agréables, doucereuses - et c'est bien ça le problème : rien ne dépasse. Enfin, je suppose que ceux qui ne connaissent pas encore Guy Garvey et sa bande seront sans doute conquis ; ça semble le cas du journaliste du Daily Telegraph, par exemple, qui perd un peu le sens commun : "an album of world-beating standard yet still intimate and friendly, an epic of the everyday, a romance of the real." On le saura pour la prochaine fois : "romance of the real = des violons."
En revanche, et même si son côté première de la classe peut agacer, je me prosterne devant le 4e LP éponyme de St. Vincent, alias Annie Clark, que je ne saurais décrire autrement que comme un grand album pop audacieux et tourbillonnant, d'une inventivité à mon sens sans équivalent dans le paysage mainstream actuel (en un sens, et même si ça n'a pas grand-chose à voir, je pense au Homogenic de Bjork, avec laquelle la native de Tulsa partage un goût pour la, disons, démesure excentrique contrôlée).
March 26, 2014
hollow inside
Il existe globalement deux façons de parler des films qu'on n'a pas aimés : cassage de gueule en règle ou recension fatiguée. Par égard aux frères Cohen, qui peuvent être considérés à peu près une fois sur deux comme des bienfaiteurs absolus de l'humanité, je jetterai un voile pudique sur Inside llewyn davis, un film qui a été tellement encensé par la critique qu'on ne peut que le trouver merdique si on s'intéresse à ce que racontent les gens en général et qu'on est doté d'un esprit de contradiction supérieur ou égal à celui d'un journaliste de D8. ""I feel they took a vibrant, crackling, competitive, romantic, communal, crazy, drunken, brawling scene and crumpled it into a slow brown sad movie" a dit Suzanne Vega mais c'est normal : elle n'est pas critique. Quant à moi, par souci d'honnêteté, j'ai été contraint de répondre "oui, parfois" à mon ORL qui me demandait s'il m'arrivait de m'endormir devant un film puisque visiblement, ce truc de 105 minutes filtré en gris-bleu et censé nous démontrer que tout le monde n'a pas la chance d'être Bob Dylan, n'était pas seulement un pari sur la patience idiote des journalistes de Greenwich Village.
March 14, 2014
true detective (et faux spoilers)
Les histoires que nous nous racontons. Les récits que nous inventons en tournant nos regards vers les étoiles. L'expérience primant sur la révélation. La possibilité, non pas seulement d'une banale rédemption, mais d'un élargissement brutal des perspectives. Non, Rust Cohle n'est pas devenu chrétien. Mais, désormais, il doute de son doute. " There was no me. Just love… and then I woke up." Comme lui, et tandis que l’œil de la caméra scrute les ténèbres à la recherche de réponses distantes, nous restons puzzled. Nous sommes tous des puzzles que quelqu'un, quelque part, a fait semblant de résoudre, et c'est le rire de ce quelqu'un qui nous constitue. Et puis quoi ? A l'étrange et tardive épiphanie de Cohle répond l'irrésistible ascension d'Errol Childress, le maître de Carcosa ("Strange is the night where black stars rise", clame le poème du Roi en Jaune), victime expiatoire de la conspiration contre la race humaine qui entend se délivrer par le meurtre du cycle infâme de la vie et attend littéralement qu'on vienne le chercher. “My ascension removes me the disc in the loop", murmure-t-il comme un candidat à la délivrance karmique : oui, c'est tout. Et, pour le malheureux spectateur happé par huit épisodes de cauchemar gothique, c'est évidemment trop peu - le "trop peu" nécessaire. Rendons grâce à Nic Pizzolatto, d'abord, d'avoir évité les deux écueils fondamentaux : celui de la farce lovecraftienne, et celui du polar hard-boiled 100% cartésien. Comme celui de Lost, l'intérêt de cette première saison de True Detective se niche dans les questions qu'elle nous arrache, dans les béances poisseuses de sa trame, dans les brusques et artificiels coups de rein de sa ligne narrative. C'est un show par essence inachevé, qui rompt avec la perfection idiote de certains de ses prédécesseurs et, en cela peut-être, ouvre une ère nouvelle. Ses mensonges, ses errances, ses manques (et ceux de ses deux personnages principaux) troublent le spectateur accoutumé à la rotondité des récits parfaits, et je soupçonne que c'est l'une des raisons de son succès. L'autre, naturellement, c'est McConnaughey, le fantôme badass des bayous qui traîne son nihilisme frelaté comme une croix nécessaire et, pour finir, tue l'ennemi fondamental à coups de tête. Rust Cohle est fatigué de Nietzsche, fatigué de cette douleur perpétuelle qu'est la vie, et c'est pourquoi il nous est parfaitement indispensable. Levant la tête au cœur du labyrinthe, juste avant la confrontation finale, il aperçoit une sorte de trou noir : le tourbillon bleuté qui déchaîne les passions avant de les engloutir, et ne recrache rien. Nous ne saurons jamais que faire de ce fatras quantique, métaphysique, hallucinatoire mais, grands dieux, mille fois tant mieux.
March 12, 2014
Rome et rien d'autre
Jep Gambardella s'enfonce dans les territoires capiteux de la mort et le nom de la mort est Rome. Rome : figée sous le poids d'une beauté immémoriale et tuante dont l'esthète tente de retrouver l'écho à travers un lent brouillard de mondanités absurdes. Le bruit blanc du monde, le bla-bla lancinant pour se distraire du temps tandis que le Vrai sédimente ; et Jep, Jep : l'homme qui n'a goûté que l'écume des choses. Il faut voir Toni Servillo, dans l'une des nombreuses bacchanales que le film met en scène, il faut le voir danser mains levées, au ralenti, un sourire désastreux aux lèvres, pour comprendre ce qu'est la défaite. Partout, la mort. Et partout, cette beauté hautaine, inaccessible : Rome.
Je vois parfaitement ce qu'on a pu reprocher à La Grande Bellezza : une vanité sans limite couplée à une réalisation évidemment fellinienne, comme s'il n'existait, en Italie, que cette voie-là pour fustiger la décadence. Mais comment filmer Rome autrement ? Comment dire ce mélange unique de pourriture et de splendeur, tandis que les humains persistent à se trémousser au bord du gouffre ? Mépriser le regard désabusé que Jep promène sur son univers, c'est lui refuser notre pitié, c'est en vouloir à Patrick Bateman de ne s'intéresser qu'aux marques, feindre d'ignorer l'inévitable morale de ce conte moderne. Car que cherche le vieux Jep, écrivain sans histoires, en côtoyant des beautés fanées, en plissant les sourcils devant des installations d'art contemporain si grotesques qu'on ne les distingue plus de la vie pâle qui les a engendrées ? Il cherche ce qui n'existe qu'en lui, au plus profond - il cherche son âme dans celle, infiniment plus vaste, de la Cité Éternelle. Son appartement domine le Colisée ; les nuages déchirent le crépuscule ; au loin gémissent les violons du Kronos Quartet (B.O. sublime, de bout en bout). Jep erre dans la ville, tout le monde meurt doucement autour de lui - d'un souffle, une sainte centenaire agenouillée sur son balcon disperse un vol lourd de flamants qui repartent vers le sud. "Je connais le nom de chacun de ces oiseaux", affirme-t-elle, déjà ailleurs. Jep, lui, ne connaît plus le nom de rien. Alors, en attendant l'Heure, il déambule au cœur de la merveille.
Dans la scène d'introduction, sur la colline du Janicule, un touriste japonais émerveillé prend des photos de la ville avant de tomber, inanimé - et qui s'en étonnera ? Ailleurs, les chœurs minimalistes de l'Ensemble vocal de Turin ânonnent du David Lang entre les murs nus d'un couvent. Si vous vous relevez de cette mort-là, un conseil : quittez Rome sans attendre.
March 10, 2014
grosse fatigue
Il y a encore dix ans, l'idée d'aller voir "le nouveau Woody Allen" me mettait carrément en joie. C'était la promesse d'un moment gentiment bourgeois mais léger, pétillant et plein d'esprit. Las ! Depuis quelque temps (Whatever works étant pour moi le dernier long métrage honorable d'une filmographie à bout de souffle), ce bon vieux Allen Stewart Königsberg semble avoir pris acte du fait que ses petites comédies névrotiques continueraient à perdre du fric jusqu'à la fin des temps et ne marcheraient jamais aux USA. Il s'est donc lancé avec un entrain assez déprimant dans le bon gros film bourrin conventionnel. Minuit à paris, son plus gros succès au box-office mondial avec Carla Bruni en guest, ressemblait à une pub sur Paris pour touristes japonais sous-informés. Blue Jasmine n'est guère plus convaincant. A vrai dire, c'est l'un des films les plus chiants qu'il m'ait été donné de voir depuis longtemps. L'histoire (une new-yorkaise qui a été riche s'installe chez sa frangine à Frisco et découvre la vraie vie - mais en même temps pas vraiment) est racontée avec un manque de conviction assez ahurissant. Pour le dire clairement : ce qui arrive à cette pauvre Jasmine, on s'en tape à mort. Je n'ai même pas envie d'en dire plus. Cate Blanchett a reçu plus d'une vingtaine d'awards pour ce rôle, et j'imagine que ça la consolera d'avoir dû jouer dans Le Hobbit, mais c'est pas ça qui me rendra ces 98 minutes lénifiantes. Woody, tu dois avoir un peu de blé de côté, tu nous as offert trois décennies de films merveilleux. Merde, tu tiens vraiment à tout gâcher ?
March 5, 2014
par pitié ne me faites pas de mal
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Noté, dans une récente interview de Bret Easton Ellis (un homme auquel on ne pourra pas reprocher de fermer sa gueule pour de mauvaises raisons) sur VICE : "It’s very difficult for them [les membres de la Generation Wuss] to take criticism, and because of that a lot of the content produced is kind of shitty. And when someone is criticised for their content, they seem to collapse, or the person criticising them is called a hater, a contrarian, a troll." Je ne sais pas si les œuvres produites aujourd'hui sont "moins bonnes" parce qu'on n'ose plus critiquer leurs créateurs, je n'ai pas d'avis sur cette question mais sur l'existence même de la Generation Wuss (une confrérie dont les frontières excèdent allègrement, si vous voulez mon avis, les limites générationnelles fixées par B.E.E. - i.e. les trentenaires - et dont je m'horrifie plus souvent qu'à mon tour de faire partie), je n'ai guère de doutes. Je pense particulièrement aux écrivains présents sur Facebook. Sur mes 4950 "amis" actuels, un certain nombre sont ou se proclament auteurs. Et une bonne portion de ces auteurs, pour le dire gentiment, ont beaucoup de mal avec les critiques négatives. Bien sûr, apprendre qu'on a écrit un ouvrage médiocre ne peut pas faire plaisir, surtout quand on est persuadé que c'est faux. Mais nous devons en convenir : pour des raisons aussi complexes que regrettables, nous avons été éduqués dans l'illusion que nous pouvions et devions plaire à tout le monde.
Il est toujours plus facile de donner que de recevoir. Lorsque quelqu'un nous assure que nous sommes géniaux, nous trouvons ça légitime. Certains d'entre nous se laissent même aller à croire que c'est vrai. En général, nous insérons un lien vers la critique, assorti parfois - raffinement bienvenu - d'un commentaire pseudo-gêné du genre "oh oh, quand même, il/elle exagère". Mais reconnaissons-le : du point de vue de l'image (parce que, rappelons-nous, nous voulons aussi que le monde comprenne que derrière l'écrivain hors du commun se cache un être humain d'une exquise humilité), les critiques laudatives ne sont pas évidentes à gérer. Les lynchages, c'est plus simple : ce sont nos chers "amis" qui se tapent l'essentiel du boulot. Tout ce que nous avons à faire, nous, c'est de fournir le lien, un lien issu - mais cela, nous ne le précisons jamais - d'une embarrassante séance d'ego-surfing. Un silence digne s'impose alors. No comments, gentlemen. No pictures. L'homme seul, frappé par un destin adverse, tête haute dans la tempête. Et c'est sur ce point-là que je rejoins volontiers ce bon vieux Bret. Les trois quarts du temps, la réaction des "amis" est largement aussi consternante que l'initiative qui en est à l'origine. Le critique est une merde. Le critique est aigri. Le critique n'a rien compris. Le critique n'a qu'à écrire, lui. Qui a besoin de ces connards de critiques ? (S'il personne ne propose le lynchage, c'est uniquement parce que le critique n'est pas géolocalisé. "Les gars, on le tient ! Prenez les fourches !") Ne t'inquiète pas, XX : nous, on sait ce que tu vaux. Tiens, sèche tes larmes.
Sérieux, ça craint. Ça donne de l'écrivain l'image d'un gros lourdaud pleurnichard quêtant le réconfort de ses admirateurs. Ça donne des commentateurs l'image de pauvres moutons bêlants incapables d'exercer leur sens critique au prétexte que l'écrivain est un "ami". Surtout, ça fait ressembler FB à une annexe miteuse de SOS détresse-amitié, l'anonymat en moins, la veulerie en plus. Parce c'est quoi, le message ? Parce qu'on est "ami" avec quelqu'un (ce qui, soyons honnêtes, se résume la plupart du temps à avoir liké ses commentaires sur l'intelligence émotionnelle de J-F Copé ou l'euthanasie d'un girafon), ce quelqu'un n'est pas capable parfois de faire de la merde ?
Le top, pour l'écrivain outragé, c'est de laisser passer cinquante commentaires indignés et de clore le débat par un message de tempérance universelle : "non mais attendez, c'est pas parce que ce pauvre critique n'aime pas mes livres que vous devez nécessairement couper les orteils de ses gosses ou l'abonner au Figaro à vie. Après tout, chacun ses goûts de chiottes, songez quelle vie affligeante ce malheureux doit mener pour se livrer à de telles exactions." En somme, je vous livre la victime mais soyez gentil de ne pas la torturer sous mes yeux, je ne supporte pas l'odeur du sang (attendu que, de toute façon, le critique en question ne fait pas partie des amis FB de l'auteur et ne pourra pas se défendre, quand bien même cette idée saugrenue lui aurait traversersé l'esprit).
J'ai réagi deux ou trois fois à des critiques négatives sur le blog des intéressés parce que d'autres personnes que moi étaient directement mises en cause, ou que l'exercice virait trop ostensiblement à l'attaque ad hominem (dans un prochain post : "ces excités qui font les chauds sur le web et que vous rencontrez un jour en vrai"). J'ai posté ici-même quelques messages énervés sur des articles qui m'avaient particulièrement blessé. J'ai répondu il y a six ou sept ans à un razzie obtenu pour SUNK parce que les razzies n'existaient - mais ça, je ne l'ai compris que bien après - que pour des gros bêtas dans mon genre y réagissent. Je ne crois pas (je peux me tromper) m'être un jour plaint de mauvaises critiques sur FB. Mais je suis à peu près certain de n'avoir jamais volé au secours d'une consœur ou d'un confrère sur le mode compassionnel actuellement de rigueur - "ne t'inquiète pas, l'autre est un con."
Brothers et sisters, vagues congénères ou authentiques sœurs ou frères de plume, si vous vous faites défoncer la tête, just deal with it : ça fait partie des risques du métier. Et si vous n'êtes pas capable de sourire noblement et de passer à la suite, songez peut-être à changer de boulot. Toute critique, bonne ou mauvaise, est un mensonge organisé ; il y a des trucs nettement beaucoup plus graves dans la vie.
March 4, 2014
et passe-moi le sel
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Vu Guillaume et les garçons, à table ! juste avant le hold-up ennuyeux des Césars. On m'a doctement expliqué ces derniers jours qu'il ne s'agissait pas d'un film sur l'homosexualité. Vrai : c'est un film sur l'hétérosexualité. Sur le lien fantasmé entre identité et orientation sexuel, pour être plus précis. C'est, surtout, un film où tout s'avère tristement simple : oui, on peut se révéler "100% hétéro", oui, on peut solutionner un problème vieux de 20 ans telle une équation au second degré, oui, on peut rire de tout et un peu n'importe comment du moment qu'on est "sincère". Certes, les homosexuels qui n'ont pas eu le soulagement de découvrir qu'ils étaient en vérité de l'autre bord sont dépeints, au choix, comme des étalons narcissiques décérébrés ou comme des rebeus dépravés adeptes de tournante, mais ce n'est que du cinéma, hein. Guillaume Gallienne, très satisfait, nous inflige son spleen bourgeois à coups de gags sur-signifiants qui auraient sans doute eu leur place dans le dernier Almodóvar (ceux qui auront réussi à tenir plus de cinq minutes devant Les Amants passagers en tireront les conclusions qui s'imposent). Bref, la vie, c'est plus marrant quand on est riche et qu'on peut se payer des psys incompétents. Guillaume et les garçons, à table ! modifiera-t-il en profondeur le regard que les homophobes portent sur leurs congénères invertis ? Ah zut, j'oubliais : c'est pas le sujet.
February 26, 2014
le massacre joyeux de la raison
Tapez "Wes Anderson + symétrie" sur Google et vous commencerez à prendre la mesure de l'obsession du Texan pour les plans parfaits ("quand on a tout préparé, explique-t-il en interview avec le sens de l'understatement qui est devenu sa marque de fabrique, on a la possibilité de sortir un petit peu de l'ordre établi"), monomanie assumée et poussée à son paroxysme dans le merveilleux Grand Hotel Budapest, qui organise avec une précision maniaque la rencontre entre Stefan Zweig des derniers jours et le cartoon à l'ancienne, la catastrophe inévitable et le burlesque le plus débridé. Dans une Europe fantasmée, presque filtrée (ainsi de la disparition d'une vieille bique au visage de cire craquelée, plus importante que la guerre qui menace), et commençant à trembler sous le pas martial de la Divison Zig-Zag, Anderson présente l'histoire d'une fille qui parcourt un livre écrit par un type qui a rencontré le propriétaire du (jadis) grandiose établissement, lequel lui narre ses anciennes aventures, ouf. C'est le principe inévitable du téléphone arabe, fiable contre toute attente (la scène où M. Gustave, joué par Ralph Fiennes, accable le bien-nommé Zero de ses diatribes racistes avant, réalisant qu'il est en définitive un "réfugié", de se confondre en excuses, est un moment comique immense), un univers de collusions et de dérapages sans fin orchestrés au millimètre, et qui réclame un cadre d'une parfaite rectitude pour exprimer toute son hystérie criarde. Le casting du siècle n'est qu'un savant théâtre de marionnettes (parfois littéral, comme dans la scène de la descente à ski, qui rappelle la magie de Fantastic Mr. Fox) pour le réalisateur, et ses acteurs, sans doute conscients, pour une fois, de n'être que cela, s'en donnent véritablement à cœur joie. La jubilation du spectateur, inévitable, est de celle qu'il pourrait éprouver devant un numéro du cirque de Pékin répété dix mille fois et tournant soudain à la catastrophe, si la catastrophe en question se révélait in fine faire partie du numéro. Le facteur chaos, c'est l'humain, qui d'autre ? - c'est le "motherfucker" du poète soudain hors de lui, les incessantes réparties grivoises de M. Gustave dont l'appétit sexuel sans limite se traduit par une hilarante logorrhée, c'est (par exemple) le vampirique Dimitri (joué par Adrien Brody), rendu fou de rage par la disparition d'une croûte sans intérêt et fracassant de dépit une toile d'Egon Schiele représentant un sexe de femme. Point focal à la cool, axis mundi de ce délire minutieux, Zero est bien évidemment joué par le seul acteur non-connu du casting, où la moindre femme de chambre est interprêtée par une actrice oscarisable : il est celui qui observe, agrémentant les délires de son mentor de "true" sentencieux, il est le réalisateur lui-même, à n'en pas douter, celui qui "réalise" que le monde ne peut pas être sérieux mais qu'il peut être tragique, et ne répond à cette fatalité que par un acquiescement vaguement ébahi, teinté autant de malice que de tristesse anticipatrice.


