Fabrice Colin's Blog, page 13
May 21, 2014
des mots et des notes
Je serai demain, et pour trois jours, aux Imaginales d’Épinal. L'occasion de croiser des copains, de saluer des lecteurs, et de revoir un documentaliste messin chez qui j'ai eu la chance de faire une rencontre assez extraordinaire la semaine dernière (il se reconnaîtra)(il s'appelle Yannick). De façon générale, le rythme de mes interventions en collèges, lycées et médiathèques devrait enfin se calmer pour 2013-2014 - j'en aurai encore fait une quarantaine cette année, sans compter celles de La Réunion et, de façon globale, j'ai l'impression que le niveau grimpe (ou alors, je deviens très indulgent). Cela fait maintenant plusieurs années que je me dis qu'il serait opportun de publier un petit billet expliquant ce qu'est, de mon point de vue, une rencontre réussie - un billet qui livrerait quelques conseils aussi, pour ce que vaut mon expérience. Je vais essayer de faire ça prochainement.
Nombreux projets éditoriaux à l'horizon mais je ne peux en évoquer aucun à ce stade. Septembre verra néanmoins la sortie d'un livre assez à part dans ma bibliographie, consacré à l'entrée en sixième. Je vous en dirai plus quand je serai autorisé à le faire et, surtout, que j'aurai des choses à montrer. Pour le reste, je suis actuellement plongé - le terme est approprié s'il décrit une descente en apnée effectuée d'une traite ; quelques phrases comme des comètes, des heures de méditation - dans les Aphorismes de Zürau de Kafka, écrits, ou plutôt composés, lâchés comme des rêves multicéphales pendant le séjour de l'écrivain chez sa sœur Ottla - huit mois presque paisibles, loin de Prague, loin de la guerre, au sein d'un petit village de Bohème. C'est absolument sublime, et ça enfonce une bonne partie de TOUT ce qui a été publié par la suite, mais là n'est pas la question. Les Aphorismes se vivent ; ils sont comme des lumières inversées dans un monde sans cesse mouvant, celui du combat et des signes tronqués. "Deux règles pour commencer ta vie : réduire toujours plus ton cercle et vérifier à chaque fois que tu n'es pas caché à l'extérieur de ton cercle."
Le Salad Days de Mac DeMarco, branleur et parfois kinksien, évoque les premières heures de Beck, soit une certaine langueur laidback teintée de malice et de joie naïve. Un seul reproche (à part le fait que ce garçon ne révolutionnera jamais rien, mais ça ira très bien comme ça) : sa brièveté. A part ça, et puisqu'on parle des Kinks, je réécoute en boucle le Odessey and Oracle des Zombies, gemme pop discrète et merveilleuse - l'une des plus belles des sixties, qui n'en manque pourtant pas. Indéboulonnable.
May 8, 2014
jambes fluettes et mémoire courte

Très joli film que ce Philomena, vraiment. Quelques minuscules redondances, à mon avis, mais ce vieux renard de Stephen Frears évite avec son élégance coutumière les pièges que ce sujet brûlant (une vieille femme cherche son fils, qui lui a été enlevé très jeune par les Sœurs du couvent de Rosecrea - un journaliste sur le retour décide de l'aider dans une quête qu'il devine vaine) lui tendait. Je n'ai pas trop compris ce truc de charge contre l'Eglise, pour ma part, attendu qu'il s'agit d'une histoire authentique. Si raconter ce qui s'est vraiment passé constitue une attaque frontale, les gars, il faudrait peut-être songer à changer de réalité.
A part ça (et je dis ça comme s'il s'agissait d'un truc parfaitement banal, alors qu'il s'agit objectivement de l'une des meilleures nouvelles de l'année littéraire en cours), un nouveau Tom Robbins sort dans un mois aux éditions Gallmeister. Paru aux USA en 1990, Jambes fluettes, etc. est le cinquième roman du natif de Blowing Rock, et l'un de ses plus délirants, en admettant qu'une telle notion ait un sens. Si quelqu'un vous explique de quoi parle ce livre, il ment forcément, férocement. Lire Tom Robbins, si vous ne l'avez jamais fait, c'est comme découvrir au détour du sentier de la guerre que la joie est soluble dans l'intelligence : on est dégoûté d'avoir perdu toutes ces années mais on est heureux pour le reste de sa vie. "Cuillère à Dessert et Chaussette Sale se demandaient alors comment Boîte de Haricots pouvait savoir tant de choses sur les samouraïs" : voilà le genre de trucs qu'écrit Tom Robbins au milieu d'un roman sur la politique, la religion, et le fait que le sens de la vie réside en partie dans l'existence de bouquins se permettant encore et toujours de poser la même question débile. Thomas Pynchon + Hunter Thompson dans le même shaker, avec un zébu, des seringues et des orchidées rares : si vous ne connaissez pas, je vous envie salement.
May 7, 2014
kulture
Non, je ne suis pas très présent sur ce blog ces temps-ci, ni sur FB, ni sur Twitter, d'ailleurs - et j'ai plein de bonnes raisons pour ça, notamment le besoin de me recentrer un peu. J'étais à Bordeaux aujourd'hui et hier pour la deuxième fois en une semaine, je suis allé à Genève, je vais aller à Metz, Chassieu, Grenoble, Epinal, tout ça en deux semaines - je m'efforce d'écrire dans le train, de répondre aux questions, de lancer de nouveaux projets, de réfléchir à ce que je veux faire - s'il reste de la place pour faire quelque chose.
Un film : Enemy, avec Jake Gyllenhaal et Mélanie Laurent - une histoire de sosie et de femme-araignée. Je n'ai pas lu le roman de Saramago dont le film est tiré, mais en tant que symptôme fantastique (je ne trouve pas de mot plus approprié), cette adaptation m'a paru, au premier niveau, assez ratée, l'élément de sidération obsédant, celui qui prête à interprétation, me semblant comme plaquée sur une intrigue par ailleurs extrêmement ténue (et que le mec qui s'occupe des filtres gris-jaunes trouve une autre occupation, par pitié). Ceci étant, des gens trop malins pour moi proposent une lecture tout à fait intéressante, et je comprends maintenant pourquoi ce film plaît tant à mon subconscient.
Par ailleurs, j'ai essayé de regarder Nymphomaniac Vol.1 mais j'ai trouvé ça chiant comme la mort, et nettement moins profond, en fait - j'ai arrêté au bout de 40 minutes. J'avais adoré Melancholia pour sa sensualité perverse. Ici, j'ai eu l'impression qu'on essayait de m'expliquer la vie en me parlant de bite et de chattes, mais pas vraiment. Bref => trop smart pour moi, encore.
Musique ? Un très mauvais album : celui de Lily Allen. Un album pas très intéressant : celui de The Horrors, qui portent assez mal leur nom. Un album sur lequel je dois continuer à me pencher : celui de Tune Yards.
April 23, 2014
La Réunion (7)
Retour sur la côte après quatre jours dans les Hauts - deux à Salazie, deux aux abords du volcan et de la magnifique forêt de Bellouve. Une descente dans le cirque de Mafate, qui m'a donné une idée de roman, et une randonnée sur le volcan, 5h A/R et une bonne dose de chance, car le ciel était dégagé presque tout du long. Bercé par l'indolence de l'île, j'ai un peu perdu le désir de poster ici et sur Facebook. Il faut réapprendre avec patience et humilité à ne pas vivre les choses uniquement pour pouvoir en témoigner, d'autant que les mots - les miens en tout cas - ne seront jamais à la hauteur des expériences vécues ces derniers jours. Je posterai néanmoins quelques photos ici si je trouve du temps pour ça une fois rentré à Paris. A signaler, deux nuits passées dans un gîte fantastique à Plaine-des-Cafres : l'Estagnon, c'est son nom, se signale par un accueil remarquable et des prestations hors-normes. Nous le recommandons très chaudement. Ariel, le propriétaire, m'a appris à jouer avec les araignées de l'île, impressionnantes mais totalement inoffensives. La Nephila Nigra femelle me fait beaucoup rire : dès qu'on la touche, elle se met à secouer farouchement sa toile pour bien faire comprendre qu'il ne faut pas l'énerver ; c'est là, semble-t-il, sa manifestation d'agressivité maximale. C'est aussi, paraît-il, l'araignée qui tisse les plus grandes toiles du monde.
April 17, 2014
La Réunion (6)
Fin de mes interventions hier soir. Je ne vais pas décerner des bons points, mais mon passage au collège Le Bernica, à Saint-Paul, était tout bonnement un prodige d'organisation et d'enthousiasme.
Pour fêter la fin de mon périple, l'incomparable Gino - qui en vérité est bien plus qu'un chauffeur : un ami - nous a invités à dîner chez sa copine, dans les hauteurs de Trois-Bassins. La copine en question, une pré-sexagénaire alsacienne d'une gentillesse assez surnaturelle, habite une case labyrinthique où s'épanouissent chatons, margouillats et Nephila inaurata placides (je vous laisse chercher sur Google, ça vous fera la surprise). Nous avons mangé un carry aux patates douces qui avait apparemment mijoté toute la journée. Ah, le plaisir de déambuler nuitamment sur l'herbe mouillée du jardin de Marie-Paule, parmi les phasmes et les étoiles ! Et le fantôme de Pierre Bottero était là, quelque part, souriant comme à son habitude.
Retour à minuit. J'espère qu'on pourra bien continuer à écouter Free Dom en métropole. Dès qu'on monte en voiture, les enfants réclament la radio, désormais. Je peux vous dire que c'est autre chose que France Inter.
Aujourd'hui : glandouille masque-tuba à l'Ermitage. Demain : départ pour Salazie, le nord et l'est de l'île. J'ignore si je pourrai poster de là-bas.
April 15, 2014
La Réunion (5)

Demain mercredi, à la Librairie Gérard de Saint-Denis, je dédicacerai mes livres de 15h à 17h.
Aujourd'hui, je suis allé dans un collège de Sainte-Marie - une salle jouxtant le CDI redécorée entièrement aux couleurs de Bal de givre à New York, dont plusieurs élèves ont traduit le début en créole. Très, très chouette intervention, et assez émouvante, à vrai dire - nous avons beaucoup parlé de mort.
Hier, Piton St-Leu et Trois-Bassins, au terme de routes sinueuses dans les Hauts noyés de brume. Pour la première fois hier après-midi, et à sa demande, j'avais emmené ma fille avec moi. Je me demande ce qu'elle a retenu de mon intervention, à part le fait que nous allons essayer de goûter aux larves de guêpes frites. La recette a l'air simple, et tous les enfants d'ici raffolent de ce plat plutôt facile à préparer, une fois que vous avez enfumé le nid. Quelques larves sautées dans un peu d'huile à la poêle, assaisonnées de sel et poivre uniquement - ce n'est pas plus bizarre que de manger des escargots ou des crevettes, hein ?
pendant ce temps, à Kangaroo Island

L'illustrateur glande en Australie, l'auteur chasse le tangue à La Réunion, il est plus que probable que nous n'entendions plus jamais parler de ces deux malfrats, alors voilà : Le Mystère de la momie, qu'on trouvera dès demain en vente dans toutes les bonnes boucheries-charcuteries du Loiret, devrait rester un peu comme leur testament spirituel.
April 12, 2014
Réunion (4)
Jeudi matin : un collège dans les hauteurs de Saint-Louis, des enfants qui chantent en créole (merveille !) et en guise de bienvenue : des gâteaux, tiens. Heureusement, on ne déjeunait qu'une heure plus tard. A présent, je pèse 163 kg. Ce matin, pour la première fois, je n'ai pas pris de petit-déjeuner ; mais trop tard, ça ne change plus rien.
Jeudi après-midi : collège Matisse à La Ravine des Cabris. Oui, il existe réellement un endroit qui s'appelle La Ravine des Cabris ; ça fait ma joie et ça me console d'avoir vécu à Bourg-la-Reine et Choisy-le-Roi, mmmvoyez. La prof de français, pimpante, adorable, est bretonne. Merde, j'ai l'impression que tout le monde ici est breton ou alsacien.
Jeudi soir : une dodo sur le front de mer avec Léo Henry & wife. Je n'arrive pas à voir Léo à Strasbourg, c'est vrai que c'est beaucoup plus simple comme ça. Il me raconte sa virée à Mafate avec sa bonhommie détachée habituelle. J'aime cet homme, il m'apaise.
Vendredi matin : collège Ravine des Cabris à Saint-Pierre. La meilleure intervention de ma vie, n'ayons pas peur des mots. Des questions extraordinaires, inédites, légères. On m'offre de la vanille. I'm in heaven. Par suite => restaurant à Saint-Louis avec un impressionnant aréopage de profs et documentalistes super chaleureux. Tout le monde mange des trucs métro sauf moi. Nous parlons du PSG (trois fans à la table) et de l'OL (un fan - d'une extrême courtoisie). Nous parlons de l'OM, des supporters de l'OM qui sont plus joyeux de voir perdre Paris que de voir gagner Marseille (autant dire qu'ils ne sont pas joyeux très souvent, ces temps-ci). Ami marseillais, si tu lis ces lignes, pourquoi tant de haine ? Le foot, c'est juste 22 mecs très riches qui courent après un ballon - et ce sont les plus riches qui gagnent. Nous devrions boire des coups ensemble et dire du mal de Monaco.
Vendredi après-midi : collège Plateau Goyaves à Saint-Louis. A la fin de l'intervention, qui est plus celle des élèves que la mienne, en fait, quelque solides jeunes filles à la peau chocolat restent avec moi, toutes tristes de me voir partir. N'y tenant plus, et dans un élan qui ne me ressemble guère, je les embrasse l'une après l'autre. Nous sommes au bord des larmes. Hey, les gens de Plateau Goyave : je ne vous oublierai jamais.
April 9, 2014
Réunion (3)
Le matin vers 6h40 avec le veilleur de nuit on siffle Somewhere only we know de Keane parce que RTL2 ne passe à peu près que ça ou des messages pour dire que ça va être une super journée sur La Réunion.
Croyez-moi, quand vous trouvez un mec avec qui vous pouvez siffler cette chanson en toute innocence, même s'il vous parle tout le temps de l'OM et de son glorieux avenir (?), vous le serrez mentalement contre votre cœur.
Hier après midi c'était quartier libre et je suis allé à pied au lagon mais je n'ai pas pu me baigner parce qu'il y avait des vagues de 8 derrière la barrière de corail et qu'on pouvait presque entendre les pensées des requins, des pensées du genre Happy meal. Et donc à la place j'ai lu un livre qui expliquait que Kafka n'était pas aussi désespéré qu'on le croit.
Je poursuis mon périple. Mardi, collèges de Saint-Benoît et de Saint-André, interview dans le quotidien local, et je crois qu'il faut parler de ce moment où je me suis retrouvé sur une deux-voies à 150km/h avec une draconologue prof d'anglais de 55 ans prénommée Daisy.
Hier soir petit débat dans un bar du front de mer devant un parterre de documentalistes et de profs. A dîner, il y avait du zèbre, j'ai juste goûté, c'est bon, le zèbre. Le serveur était un supporter de l'OM. Quand je suis parti il m'a demandé si on se serrait la main. Nous les Parisiens on serre la main de tout le monde et notamment celle des gens malheureux.
April 7, 2014
Réunion (2)

Mon chauffeur s'appelle Gino. Il était déjà là il y a six ans et il se souvient de moi ("ta femme portait un short court"). C'est un mec positivement génial, d'une extrême courtoisie, doté d'une propension très nette à raconter sa vie, toute sa vie, en truffant ses histoires de jeux de mots lacaniens trop forts pour moi. Une fois, il s'est occupé de Carole Martinez et apparemment, ça l'a beaucoup marqué, et elle aussi - tu m'étonnes.
Gino et moi allons passer de nombreuses heures en voiture ensemble (aujourd'hui, par exemple, nous allons à Saint-André puis à Saint-Benoît, qui est un peu la ville diamétralement opposée à Saint-Gilles, voir carte), et il va donc peut-être falloir que je m'invente une vie intéressante. Mais peut-être pas. Peut-être que je vais juste l'écouter parler et écrire un livre sur lui. Apparemment, Pierre Bottero l'avait mis dans un de ses romans.
Hier, premières rencontres, deux collèges : l'un au Port, l'autre dans les hauteurs, tout à fait spectaculaire, avec une documentaliste adorable. Le problème à La Réunion, c'est qu'on veut te faire bouffer tout le temps. Petit déjeuner, collation à 10h parce que les élèves ont préparé des gâteaux, dîner vers 11h30, goûter, apéro, dîner. Je suppose que si tu veux remanger un truc vers minuit, c'est possible.
Ce soir, je vais aller voir Chelsea-PSG au Bar de la Marine, équipé d'écrans géants et tenu comme il se doit par des Marseillais. L'OM est encore très populaire, sur cette île, je sens qu'il va falloir que j'apprenne à répondre d'autres trucs que "le foot" à la question : "avez-vous d'autres passions" si Paris se qualifie.
L'hôtel où je réside par une semaine est branché sur RTL2. C'est bizarre d'être très content ET d'avoir envie de mourir en même temps à 6h57 du matin.


