Zoë Hababou's Blog, page 4

February 22, 2022

Le Journaliste, Background : Une Histoire de Dope

version blanche

Rapidement, la glace entre nos deux mondes fut brisée ; je lui proposai de la meth, il me parla des âmes en souffrance qu’il avait en cours, nous conversâmes tels deux larrons en foire légèrement surexcités par un abus de barba papa à la fête foraine.

Genre : Gonzo Genèse de la nouvelle Le Journaliste, par Zoë Hababou Le Pitch

Un journaliste accro au crystal meth doit trouver le Diable pour l’interviewer. Quand il met finalement la main dessus, leur rencontre se révèle beaucoup moins solennelle que prévu, mais aussi plus drôle, et plus dangereuse…


La Genèse

Quand on est fan d’Hunter S. Thompson, se glisser dans sa peau le temps d’une nouvelle est terriblement tentant. L’intérêt de l’exercice, au-delà du fait que son personnage est jouissif et qu’il offre la latitude d’aller aussi loin qu’on veut dans la dinguerie, est évidemment de s’essayer au Gonzo.

Le Gonzo, c’est un style littéraire journalistique où le narrateur, plutôt que de rapporter des faits d’une façon neutre et objective, se met lui-même en scène dans sa lutte pour “couvrir l’événement”. Ajouté à ça, il est de bon ton de faire intervenir dans le récit de la dope, et un comparse.

Voilà les éléments clés du Gonzo.

Le personnage du Journaliste s’est rapidement imposé à moi. Faut dire que Las Vegas Parano se passe déjà dans le désert, et qu’imaginer Raoul Duke (alter-ego d’H.S.T.) en train d’interviewer le Diable est comme qui dirait le summum en matière de fantasme de fan… d’autant plus que je trouvais intéressante l’idée que le Diable s’exprime en dehors de la nouvelle qui lui sera consacrée, d’une manière directe. Et ça, seul le Journaliste pouvait l’amener à le faire, c’est dire si son rôle au sein des Chants du Désert est irremplaçable !

Et puisque que chaque nouvelle possède son propre style et son propre genre, je me suis dit banco.

L’autre truc pertinent, avec ce personnage, c’est qu’en tant que journaliste en reportage, ça n’a rien de surprenant qu’il croise d’autres figures de la série, même si je dois avouer que je m’attendais pas à ce que ce soit le Prophète et les Mécanos. Pourtant, une fois rédigé, ça colle parfaitement.

La version hallucinée du Journaliste de ce qui se trame dans ce putain de désert est un truc dont j’aurais pas pu me passer, surtout après le sérieux de La Passagère. L’idée centrale qui sous-tend cette série, c’est qu’il existe différentes versions d’une même histoire. Selon le point de vue de chaque personnage perdu au sein de son enfer personnel, les autres individus, et même le Diable en personne, n’ont pas du tout le même visage. C’est d’ailleurs ce que celui-ci explique lors de son interview. Mais au-delà du fait que le Tentateur se présente sous diverses apparences selon l’âme qu’il a choisi de séduire, c’est surtout l’idée que la réalité dépend de celui qui l’observe qui est essentielle ici, et que cette nouvelle révèle, grâce à la vision droguée et au témoignage gonzo, donc ultra-subjectif, qu’en fait le Journaliste.

Pensez-vous que le Prophète rapportera la même version ? Lui, à demi-mort et trébuchant, en train de parler tout seul et de délirer sur Dieu ? Rien n’est moins sûr… C’est pourtant ce qu’a vu le Journaliste, et le Diable possède encore une autre version. Voyez l’idée ?

Si je fais bien les choses, cette série sera une fresque saisissante, polyphonique, où les histoires (autant celles de chaque perso que l’histoire générale qui les réunit) s’accouplent et s’entre-déchirent pour livrer des court-métrages dantesques hétérogènes tout en étant interconnectés, comme les différents cercles de l’enfer…

Ce que j’aime bien avec cette version du Diable, c’est qu’il est terriblement humain, et que ça le rend attachant ! Même si tout compte fait son attitude était peut-être calculée, puisqu’il baise le Journaliste en beauté à la fin (qui se figure pourtant, comme on le découvre à la toute dernière ligne, avoir fait une super affaire - mais c’est toujours le cas, avec le Diable, pas vrai ? Relisez Le Clown et La Passagère, vous comprendrez !), il n’en demeure pas moins que le temps de l’interview, on a la certitude qu’il se montre honnête, et que, oui, c’est quelqu’un qui souffre, et qu’au fond de lui il est toujours ce petit garçon qui a défié son père et s’est fait rejeter par lui…

En commençant à écrire, c’est pourtant pas du tout ce que je voulais ; j’avais dans l’idée de partir sur la figure hautaine et mystérieuse, un brin affectée, qui sied généralement à Satan, et ç’aurait été cool à rédiger aussi. Mais les choses ont pris cette tournure et ça me va très bien. Lucifer qui se défonce et picole avec Hunter en geignant sur la connerie humaine, merde, faut l’écrire soi-même pour capter à quel point c’est cool !

Cette genèse part dans tous les sens (le Gonzo est encore en moi, je le crains), alors je vais conclure avec deux éléments importants révélés ici :


Le Diable se cache en chacun de nous


- Qui de nous deux a trouvé l’autre ? C’est moi qui t’ai déniché, ou est-ce que c’est toi qui m’as convoqué ?


- Ça ne fait aucune différence. Dans ce désert, tout est à double tranchant.



La passion et la perdition sont une seule et même chose

Pour la bonne raison que c’est pour cette chose, et cette chose seulement, que tu es prêt à tout sacrifier, jusqu’à ton âme. Ce de quoi tu veux vivre est aussi ce pour quoi tu es prêt à mourir. Et donc, le désir et la passion qui te rongent et brûlent en toi d’une flamme éternelle, finiront inévitablement par dévorer ton âme. Que ce soit moi qui le fasse, ou toi, tout seul, sans l’aide de personne.


Si ces révélations avaient déjà été timidement annoncées dans les nouvelles précédentes, ici, la vraie lumière est faite sur elles. Et vous êtes suffisamment intelligent pour vous passer de mes explications.

 

Je vous demanderais juste d’être particulièrement attentif à ces éléments dans le futur. Ils vont prendre de l’ampleur et risquent fort d’atteindre la crise métaphysique…


DÉCOUVRIR LA NOUVELLE LE JOURNALISTE

 
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Published on February 22, 2022 07:58

L’histoire derrière l’histoire : Le Journaliste

Rapidement, la glace entre nos deux mondes fut brisée ; je lui proposai de la meth, il me parla des âmes en souffrance qu’il avait en cours, nous conversâmes tels deux larrons en foire légèrement surexcités par un abus de barba papa à la fête foraine.

Genèse de la nouvelle Le Journaliste, par Zoë Hababou Le Pitch

Un journaliste accro au crystal meth doit trouver le Diable pour l’interviewer. Quand il met finalement la main dessus, leur rencontre se révèle beaucoup moins solennelle que prévu, mais aussi plus drôle, et plus dangereuse…

La Genèse

Quand on est fan d’Hunter S. Thompson, se glisser dans sa peau le temps d’une nouvelle est terriblement tentant. L’intérêt de l’exercice, au-delà du fait que son personnage est jouissif et qu’il offre la latitude d’aller aussi loin qu’on veut dans la dinguerie, est évidemment de s’essayer au Gonzo.

Le Gonzo, c’est un style littéraire journalistique où le narrateur, plutôt que de rapporter des faits d’une façon neutre et objective, se met lui-même en scène dans sa lutte pour “couvrir l’événement”. Ajouté à ça, il est de bon ton de faire intervenir dans le récit de la dope, et un comparse.

Voilà les éléments clés du Gonzo.

Le personnage du Journaliste s’est rapidement imposé à moi. Faut dire que Las Vegas Parano se passe déjà dans le désert, et qu’imaginer Raoul Duke (alter-ego d’H.S.T.) en train d’interviewer le Diable est comme qui dirait le summum en matière de fantasme de fan… d’autant plus que je trouvais intéressante l’idée que le Diable s’exprime en dehors de la nouvelle qui lui sera consacrée, d’une manière directe. Et ça, seul le Journaliste pouvait l’amener à le faire, c’est dire si son rôle au sein des Chants du Désert est irremplaçable !

Et puisque que chaque nouvelle possède son propre style et son propre genre, je me suis dit banco.

L’autre truc pertinent, avec ce personnage, c’est qu’en tant que journaliste en reportage, ça n’a rien surprenant qu’il croise d’autres figures de la série, même si je dois avouer que je m’attendais pas à ce que ce soit le Prophète et les Mécanos. Pourtant, une fois rédigé, ça colle parfaitement.

La version hallucinée du Journaliste de ce qui se trame dans ce putain de désert est un truc dont j’aurais pas pu me passer, surtout après le sérieux de la Passagère. L’idée centrale qui sous-tend cette série, c’est qu’il existe différentes versions d’une même histoire. Selon le point de vue de chaque personnage perdu au sein de son enfer personnel, les autres individus, et même le Diable en personne, n’ont pas du tout le même visage. C’est d’ailleurs ce que celui-ci explique lors de son interview. Mais au-delà du fait que le Tentateur se présente sous diverses apparences selon l’âme qu’il a choisi de séduire, c’est surtout l’idée que la réalité dépend de celui qui l’observe qui est essentielle ici, et que cette nouvelle révèle, grâce à la vision droguée et au témoignage gonzo, donc ultra-subjectif, qu’en fait le Journaliste.

Pensez-vous que le Prophète rapportera la même version ? Lui, à demi-mort et trébuchant, en train de parler tout seul et de délirer sur Dieu ? Rien n’est moins sûr… C’est pourtant ce qu’a vu le Journaliste, et le Diable possède encore une autre version. Voyez l’idée ?

Si je fais bien les choses, cette série sera une fresque saisissante, polyphonique, où les histoires (autant celles de chaque perso que l’histoire générale qui les réunit) s’accouplent et s’entre-déchirent pour livrer des court-métrages dantesques hétérogènes tout en étant interconnectés, comme les différents cercles de l’enfer…

Ce que j’aime bien avec cette version du Diable, c’est qu’il est terriblement humain, et que ça le rend attachant ! Même si tout compte fait son attitude était peut-être calculée, puisqu’il baise le Journaliste en beauté à la fin (qui se figure pourtant, comme on le découvre à la toute dernière ligne, avoir fait une super affaire - mais c’est toujours le cas, avec le Diable, pas vrai ? Relisez le Clown et la Passagère, vous comprendrez !), il n’en demeure pas moins que le temps de l’interview, on a la certitude qu’il se montre honnête, et que, oui, c’est quelqu’un qui souffre, et qu’au fond de lui il est toujours ce petit garçon qui a défié son père et s’est fait rejeter par lui…

En commençant à écrire, c’est pourtant pas du tout ce que je voulais ; j’avais dans l’idée de partir sur la figure hautaine et mystérieuse, un brin affectée, qui sied généralement à Satan, et ç’aurait été cool à rédiger aussi. Mais les choses ont pris cette tournure et ça me va très bien. Lucifer qui se défonce et picole avec Hunter en geignant sur la connerie humaine, merde, faut l’écrire soi-même pour capter à quel point c’est cool !

Cette genèse part dans tous les sens (le Gonzo est encore en moi, je le crains), alors je vais conclure avec deux éléments importants révélés ici :

Le Diable se cache en chacun de nous

Qui de nous deux a trouvé l’autre ? C’est moi qui t’ai déniché, ou est-ce que c’est toi qui m’as convoqué ?

Ça ne fait aucune différence. Dans ce désert, tout est à double tranchant.

La passion et la perdition sont une seule et même chose

Pour la bonne raison que c’est pour cette chose, et cette chose seulement, que tu es prêt à tout sacrifier, jusqu’à ton âme. Ce de quoi tu veux vivre est aussi ce pour quoi tu es prêt à mourir. Et donc, le désir et la passion qui te rongent et brûlent en toi d’une flamme éternelle, finiront inévitablement par dévorer ton âme. Que ce soit moi qui le fasse, ou toi, tout seul, sans l’aide de personne.

Si ces révélations avaient déjà été timidement annoncées dans les nouvelles précédentes, ici, la vraie lumière est faite sur elles. Et vous êtes suffisamment intelligent pour vous passer de mes explications.

Je vous demanderais juste d’être particulièrement attentif à ces éléments dans le futur. Ils vont prendre de l’ampleur et risquent fort d’atteindre la crise métaphysique…

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Published on February 22, 2022 07:58

February 11, 2022

L’histoire derrière l’histoire : La Passagère

Elle va marcher tout droit vers le soleil jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Genèse de la nouvelle La Passagère, par Zoë Hababou Le Pitch

Une voyageuse amoureuse du désert décide de le traverser jusqu’à ce qu’elle comprenne pourquoi son appel rugit en elle depuis toujours.

La Genèse

Préambule

Quand il t’arrive quelque chose que les mots semblent incapables de transcrire, qu’est-ce que tu fais ?

Si tu es écrivain, tu t’efforces d’en parler quand même, mais en usant d’une forme qui s’éloigne de la simple description de faits, pour entrer dans une zone où le langage propre aux rêves et aux visions saura esquisser les contours d’une expérience transcendante.

Et si ton propre vécu peut servir à donner vie au personnage d’une série littéraire, alors, en tant qu’artiste, c’est jackpot !

Pour un artiste, il est toujours plus intéressant d’utiliser le matériel dont il dispose - surtout lorsqu’il s’agit de quelque chose qu’il a éprouvé intimement, dans sa chair - en l’incorporant à son œuvre, d’une manière détournée qui le sublimera, plutôt que de le dilapider en paroles ou en mots creux qui jamais ne sauraient rendre honneur à ses sensations et à ses visions.

En tant qu’écrivain-voyageur qui tient un journal de voyage en parallèle du reste de ses œuvres (et qui sera aussi publié), il fallait faire un choix.

La Passagère est le mien. Et en dehors de cet article, je n’écrirai pas un mot de plus sur ce qui m’est arrivé dans ce désert.

Quelques éclaircissements sur la nouvelle

Je ne compte évidemment pas livrer toutes les clés de La Passagère ici, déjà parce qu’il s’agit de quelque chose de très intime, ensuite parce qu’en tant qu’œuvre de fiction (oui, je sais marier les deux, à ce niveau Borderline m’a bien préparée) qui prend place au sein des Chants du Désert, ça reviendrait à spoiler les énigmes qui vous attendent, et pour finir parce que ouais, avec moi, y a toujours un travail de réflexion personnelle à faire, c’est comme ça !

Et c’est même tout l’intérêt du truc. Si vous sentez des éléments sans pouvoir être sûrs de leur signification, et si vous croyez comprendre un message sous-jacent sans savoir si c’est bel et bien ce que j’ai voulu dire, alors, tout va bien. Ça signifie que votre imaginaire travaille, et que la nouvelle est suffisamment profonde et subtile pour laisser place à plusieurs interprétations.

En fait, j’ai envie d’attaquer ce background en vous posant des questions :

Avez-vous compris à quel philosophe la Passagère fait référence ? Reconnaissez-vous certaines phrases en italiques qui sont des citations de ce philosophe ? Et surtout, est-ce que vous avez pigé que c’est ce philosophe-là qui aura droit à sa propre nouvelle ?

Avez-vous saisi l’idée des synchronicités rétroactives, c’est-à-dire, des messages qu’un moi futur envoie à son moi passé pour le guider ?

Savez-vous à quelle chanson la Passagère fait référence lorsqu’elle est postée sous le vieux phare ?

Pensez-vous que la Passagère meurt à la fin ?

Et enfin, avez-vous trouvé où se cache le Diable dans cette nouvelle ?

Allez, je suis cool, je vous donne quelques pistes…

Le Philosophe, c’est Nietzsche, évidemment, mon amour éternel, et je peux pas vous dire à quel point j’ai hâte de m’attaquer à sa nouvelle ! Pour les plus curieux d’entre vous, rendez-vous ici pour un super article sur lui, et découvrir de quel livre sont extraites les citations…

Hum, sur ce coup-là, il va vous falloir un éclairage vraiment balèze si vous n’êtes pas familier du concept… Je ne peux que vous conseiller de lire l’ouvrage Se souvenir du futur, véritable trésor en la matière qui pourrait bien faire basculer la façon dont vous envisagez la vie. Si vous voulez vous le dégoter, il est ici !

C’est probablement la chanson cubaine la plus connue au monde, en fait ! Il s’agit de El Carretero, de Buena Vista Social Club ! Ça vous dit rien ? Raaah, bordel, pitié, allez m’écouter cette merveille ! Et restez jusqu’à la fin pour entendre rugir ce fameux cri : Yo soy Guajiro y Carretero !!!

A vous de voir…

Il est PARTOUT !

D’une façon plus personnelle…

Tout ce qui raconté ici est vrai. Je suis amoureuse du désert depuis toujours, c’est l’écosystème qui entre le plus en résonance avec mon âme. C’est d’abord en Espagne que je l’ai connu (c’est très aride là-bas mine de rien), avant de le rencontrer partout sur ma route lors de mes voyages (Nazca au Pérou, Tupiza et le Sud-Ouest en Bolivie, la Patagonie en Argentine…). Et jamais je n’ai été aussi bouleversée et aussi heureuse de ma vie qu’en étant immergée en lui…

En marchant dans le désert de la Guajira, j’étais hantée par les paroles de Nietzsche. Je sais que c’est difficile à croire pour certains d’entre vous, mais moi, ce mec a changé ma vie. On est quelques-uns dans ce cas-là, et y a qu’à voir la manière dont nombre d’artistes tels que Fante ou Manson sont en boucle au sujet de ce type… Je ne saurais jamais s’il m’a révélée à moi-même en métamorphosant ma vision du monde, ou si je me suis tout simplement reconnue en lui. Peu importe. Quand un penseur fait partie de toi comme ça, tu le charries en toi jusqu’au fin fond d’un désert colombien…

Pour revenir sur cette histoire de synchronicités, on ne se rend souvent pas compte qu’elles sont à l’œuvre quand on est prisonnier du quotidien. Parce que ce genre de vie ne laisse aucune place à l’improvisation, et encore moins à la magie. D’autre part, notre niveau de conscience dans le monde matérialiste ordinaire n’est pas en mesure de les percevoir, et à fortiori, de les engendrer. S’exiler hors de ses schémas classiques, de vie, de pensée, s’offrir tout entier à l’inconnu, accepter de perdre le contrôle et de s’en remettre aux signes et au destin… Ces circonstances favorisent l’émergence d’un autre niveau de conscience, quantique, créateur, et ma foi, très mystérieux, tout en étant terriblement réel.

L’anecdote sur la chanson de Buena Vista peut paraitre stérile, voire incongrue, mais je vous assure qu’il n’en est rien. Être hantée depuis l’enfance par le pouvoir d’un cri qu’on ne comprend pas (du moins pas rationnellement) et réaliser des années plus tard qu’on se trouve précisément à l’endroit d’où ce cri de l’âme est né, comme un lieu qu’on aurait cherché toute sa putain de vie… Merde, faut le vivre pour comprendre. C’est ça, la légende personnelle chère à Paulo Coelho.

Et c’est donc quand j’étais confinée en Colombie lors de l’irruption de la pandémie que, un soir de biture avec le gérant de l’auberge où je squattais et ses potes, alors qu’on était en train de se faire écouter des chansons les uns aux autres à tour de rôle, j’ai mis El Carretero (ce qui n’a pas manqué de les réjouir, vu que c’est latino, comme morceau !). Et j’ai fait : Mais bon sang c’est quoi qu’il gueule l’autre à la fin, là ? Yo soy guajiro y carretero ? C’est quoi, guajiro ? Ils m’ont expliqué que c’était un habitant de la Guajira, le désert où je projetais de me rendre si je parvenais à sortir un jour de cette auberge (toute la Colombie a été mise sur pause pendant 5 mois entiers, et je suis finalement rentrée en France après 4 mois de confinement sans avoir pu voir ce désert)… Et ce n’est qu’il y a deux semaines que j’ai enfin pu m’y rendre !

La mort ? Il y a plusieurs façons de mourir… Et il y a aussi plusieurs façons de renaître. Les lecteurs de Borderline auront saisi le lien évident avec Tyler dans ce passage sur la falaise. Mais ceci est vraiment trop intime, et je n’ai pas le désir d’en parler d’une façon rationnelle.

Le Diable… est sans doute le démon le plus beau et le plus terrible d’une vie. Celui pour qui on est prêt à tout sacrifier. C’est très ambigu, en fait. Parce que ça veut dire que notre passion la plus folle et aussi la plus destructrice. Étrange condition humaine. Splendides possibilités d’enquête pour un auteur !

Conclusion !

Cette nouvelle n’est que la deuxième publiée pour les Chants du Désert, mais certains signes commencent à apparaitre… Je vous laisse donc avec une dernière question :

Et si la flamme sacrée qui anime chaque Homme dans le secret de son âme était aussi le feu démoniaque qui signera sa propre perte ?

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Published on February 11, 2022 06:16

February 8, 2022

L’histoire derrière l’histoire : Le Clown

Tu sais, le Clown, le cirque est parti il y a longtemps…

Genèse de la nouvelle Le Clown, par Zoë Hababou Le Pitch

Un clown alcoolique se réveille après une biture pour s’apercevoir que le cirque a plié bagage sans lui. Seul un dromadaire a été oublié. Tous deux s’engagent dans une errance à travers le désert.

La Genèse

Comme pas mal de gens, j’ai toujours éprouvé un sentiment ambigu envers les clowns. Un mélange de fascination et de répulsion. Que signifient ces personnages bizarres, peinturlurés, éternellement souriants ? Impossible qu’ils ne cachent pas quelque chose. J’imagine que c’est la raison pour laquelle pas mal de films d’horreur s’éclatent avec eux !

Le pire, c’est que même les gosses sentent qu’y a un truc pas net chez les clowns, et beaucoup nourrissent même une sorte de phobie envers eux. C’est à se demander pourquoi on s’en est pas encore débarrassés…

Quoi qu’il en soit, ça faisait un moment que je caressais l’idée d’en mettre un en scène. J’adore le côté “foire des ténèbres” façon Ray Bradbury ou encore “fête foraine hantée” à la manière de Carnivale. Mais j’avais pas non plus envie de partir dans le thème du Clown Diabolique. Un simple Clown Alcoolique (déjà suffisamment cliché) ferait l’affaire.

Dans Borderline, Travis avait une scène avec un clown, mais elle a été coupée au montage. Cela dit, ce n’est pas du tout la base de cette nouvelle. J’ai simplement conservé l’idée du clown, du whisky et du dromadaire.

Et au fond, qu’est-ce qu’y a de plus tragique qu’un clown forcé de sourire aux petits enfants alors qu’il est raide déchiré et malheureux comme les pierres ? Mais hors de question de tomber dans le pathos ; ce Clown est un enfoiré stupide et aigri, un péquenaud vaguement homophobe chez qui la seule humanité se concentre dans son affection envers Mimi le dromadaire, qu’il s’imagine aussi abandonné que lui (ce n’est pas le cas, Mimi n’est qu’un accessoire du Diable).

Mais parfois je me demande si c’est pas les salopards perdus de Dieu les seuls êtres vraiment aptes à engendrer la pitié… Et je crois que c’est ce sentiment-là que je voulais faire naître chez le lecteur. Parce que c’est ça qu’il m’inspire, à moi.

J’ai écrit cette nouvelle sans savoir où j’allais (comme toujours, je découvre mes textes en les écrivant). Tout ce que j’avais au départ, c’est un clown qui se réveille avec la gueule de bois et constate que le cirque est parti sans lui. Le dromadaire et son prénom ridicule, l’errance dans le désert, l’histoire pathétique du clown et même l’apparition du Diable et la personnalité un brin égrillarde qu’il adopte envers lui, tout ça, c’est venu sur le tas. Ainsi que la boucle (un lecteur a parlé du ruban de Möbius, moi j’aurais plutôt dit Un jour sans fin), qui m’a soudain semblé la direction inévitable que devait prendre le récit.

Le Clown est-il déjà en Enfer ? S’agit-il d’une sorte de purgatoire, ou bien d’un simple jeu du Diable à qui il a déjà vendu son âme, lui préférant une bouteille de whisky mise à sa portée chaque jour qui recommence ? A t-il fait le choix de revenir pour toujours, du moment que de l’alcool est à sa disposition ?

Les Chants du Désert sont des cantiques que chaque personnage entonne pour glorifier sa propre perdition. Car s’il y a bien une chose de sûre, c’est que le désert révèle la vérité des gens.

Lieu mythique de métamorphose ou d’errance, solitude infinie ou quête désespérée, le désert est un personnage à part entière, qui de part sa nature intransigeante, force les êtres qui se perdent en lui à reconnaître leur propre force, mais surtout, leurs propres mensonges.

DÉCOUVRIR LA NOUVELLE LE CLOWN

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Published on February 08, 2022 08:20

February 6, 2022

L’histoire derrière l’histoire : Un jour toi aussi…

Tu vas aller loin avec la medicina, et je vais t’accompagner. Une nuit, tu seras confronté à ça toi aussi. Il faudra faire le bon choix.

Genèse de la nouvelle Un jour toi aussi, par Zoë Hababou

Le Pitch

Un grand-père chaman raconte à son petit-fils la façon dont il a été appelé à devenir curandero. Entre rébellion enfantine et confrontation aux esprits de la jungle, son histoire hors du commun est une vraie leçon d’humilité.

La Genèse

Jusqu’à très récemment, j’étais persuadée que les nouvelles littéraires, c’était pas pour moi. Bien qu’étant une fervente lectrice de recueils en tous genres, je me voyais pas me plier à cette forme très courte qui répond à des règles différentes de celles du roman.

Et puis, une amie a attiré mon attention sur un appel à texte dont le thème était “Sorcellerie Végétale”. Inutile de préciser la raison pour laquelle cette amie a pensé à moi, et pourquoi j’ai décidé de sauter sur l’occasion…

C’était ma première participation à un appel à texte. Les auteurs sélectionnés verraient leur nouvelle publiée dans le recueil annuel de cette maison d’édition. J’y ai vu un moyen inespéré de me faire connaître davantage.

Je ne vais pas jouer sur le suspense : Un jour toi aussi… n’a pas été retenue.

Rien de grave, et pour cause, cette nouvelle assez longue n’est rien d’autre qu’un passage de Borderline 2 que j’ai beaucoup élagué et retravaillé pour l’occasion… Et c’est sur ça que j’aimerais revenir.

Parce que ce que raconte le grand-père à son petit-fils (dans Borderline, c’est Wish qui le raconte à Travis) constitue ni plus ni moins qu’une immense et très rare porte ouverte sur l’initiation chamanique amazonienne.

Je me suis largement inspirée de la vraie histoire de Wish, le chaman qui m’a initiée au monde de l’ayahuasca, ainsi que de mes années de recherches au sujet du chamanisme.

Ce passage est une clé pour comprendre l’univers des plantes maîtresses, de l’ayahuasca, et des esprits présents dans le monde indigène amazonien (notamment le fameux Chullachaki, qui fait toujours forte impression aux lecteurs…).

D’autre part, c’est un moment assez intime entre Wish et Travis dans Le Labyrinthe, une parenthèse qui s’étend sur une vingtaine de pages, je crois, et qui permet soudain au lecteur de réaliser dans quoi il s’est embarqué avec ma saga, et surtout de commencer à comprendre l’univers de Borderline.

Je suis profondément attachée à cette nouvelle, et je crois que de la publier ici pourrait être la brèche nécessaire pratiquée dans l’esprit des futurs lecteurs, le meilleur aperçu que je puisse offrir de mes ouvrages et de leur étrange univers…

Il y a donc bel et bien une raison aux choses (eh ouais, même à un refus d’une putain de maison d’édition) !

Et il se trouve que publier cette nouvelle ici sur mon blog a été le déclencheur d’une nouvelle direction dans ma vie artistique : je me lance dans l’écriture de nouvelles, dont une série, en particulier, qui risque fort de devenir quelque chose pour laquelle personne n’est prêt !

DÉCOUVRIR LA NOUVELLE UN JOUR TOI AUSSI…

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Published on February 06, 2022 19:06

January 27, 2022

Un jour toi aussi…

Dialogue entre un grand-père chaman et son petit-fils Un jour toi aussi, nouvelle littéraire de Zoë Hababou mettant en scène un grand-père chaman s’adressant à son petit-fils.

Ils étaient tranquillement assis dans la pirogue, vaguement somnolents, la canne à pêche à la main. Attraper ou non un poisson ne semblait pas beaucoup les intéresser. Cela faisait longtemps que leurs parties de pêche n'étaient plus qu’un prétexte pour s’éloigner un peu de la communauté et se retrouver seuls tous les deux.

Et puis, sans que ni l’un ni l’autre ne sache très bien pourquoi, le vieux se mit à parler :

— Vers six ans, j’ai fait un rêve. Je m’en souviens encore très bien aujourd’hui, parce que c’était un rêve tout à fait différent des autres. Le jour même, je m’étais enfui du village, comme ça m’arrivait souvent. J’étais un vrai petit fugueur, à l’époque. La famille avait fini par s’y habituer. Au bout de quelques jours d’errance, je revenais ici, tout simplement, alors plus personne se donnait la peine de me chercher. Une fois j’ai même réussi à m’embarquer sur le fleuve en volant la pirogue d’un vieux borracho qu’habitait un peu en dehors du village. Je sais plus où je voulais aller exactement. Sans doute que j’en savais rien moi-même. Tout ce que je peux te dire c’est que, d’une façon ou d’une autre, je rêvais de m’enfuir loin d’ici, loin de mes parents et de tout ce que je connaissais, pour voguer vers l’inconnu. Je me voyais comme un explorateur. Je quittais jamais ce chapeau que je m’étais dégoté je sais plus où, un truc à la Indiana Jones. Tout le monde se moquait de moi mais je m’en foutais pas mal. Je l’aimais, moi, mon chapeau. C’était ma façon à moi de me différencier des autres.

Il rit en secouant la tête.

— Ça va te paraître idiot, mais je rêvais du monde “civilisé” et des femmes blondes qu’ils ont là-bas. Je crois que c’est à ça que je pensais quand je suis parti sur la pirogue. Je crois que j’espérais déboucher sur une grande ville. Manque de bol, elle était merdique, elle a coulé et j’ai dû revenir à la nage. Pourtant ça m’a pas dissuadé le moins du monde de continuer à me barrer chaque fois que j’en avais l’occasion.

Le jeune l’écoutait sans un mot. Cela n’arrivait pas souvent que son grand-père se livre ainsi, et il craignait que de l'interrompre avec une question ne brise son élan. D’autre part, il était intrigué par l’histoire qu’il lui dévoilait.

— La nuit où j’ai fait ce rêve, j’étais dans la forêt, assez loin du village. J’avais trouvé un arbre idéal où je pouvais dormir sans risquer de tomber dans le vide. Mes plans étaient clairs dans ma tête pour la journée du lendemain. Je me suis endormi, mon chapeau vissé sur le crâne. C’est là que le rêve m’est apparu. Ça ressemblait pas à un rêve, parce que j’étais exactement au même endroit que là où je m’étais endormi, perché sur mon arbre. Mais quand je m’étais couché, il faisait nuit noire, alors que là, la jungle était illuminée par une lumière impossible, comme si c’était les arbres et les plantes qui diffusaient cette lumière fluorescente, verte et bleue, quelque chose d’incroyable. J’étais là, à pas en croire mes yeux, quand un serpent énorme et long comme aucun serpent sur Terre a lentement commencé à descendre le long du tronc. Lui aussi émettait de la lumière, mais la sienne était mouvante, rouge, noire, jaune, et ses écailles brillaient comme des pierres précieuses. De ma vie, j’avais jamais vu un être aussi magnifique. Il s’est arrêté à ma hauteur, sa tête à deux centimètres de mon visage, et il a plongé ses yeux dans les miens. Et ses pupilles se sont mises à tourner. Je me rappelle que je me suis dit qu’il cherchait à m’hypnotiser, mais c’était trop tard, j’étais déjà complètement happé. Et puis il s’est mis à parler, le bougre. Pas de la façon dont on parle toi et moi, il remuait pas la bouche ni rien, il s’adressait directement à mon âme, comme si son esprit pénétrait le mien. Il m’a dit que ça servait à rien de fuir comme je le faisais. Que j’étais promis à un grand destin, et que je devais m’y soumettre, sans quoi un grand malheur s’abattrait sur le village. Il m’a dit que j’étais appelé à devenir curandero, et que je devais me rapprocher de mon grand-père, qui m’enseignerait son savoir.

Le vieux marqua une pause, comme s’il revivait cet événement, le regard perdu au loin.

— Et puis il a relâché mon esprit, ses pupilles sont redevenues celles d’un serpent ordinaire, et il est tranquillement remonté le long de son arbre, en traînant son corps immense comme s’il devait jamais finir, pour enfin disparaître. Et là j’ai entendu une explosion. La forêt s’est brutalement illuminée en rouge et pendant un millième de seconde, un être étrange, comme une sorte de nain difforme avec des yeux flamboyants et un long nez tordu, s’est tenu au milieu des branches, là où le serpent avait disparu. Et il a crié d’une voix fragmentée, comme faite de mille voix différentes, il a crié un nom, et il s’est désintégré. C’est à ce moment-là que je me suis réveillé. J’avais encore l’écho du nom dans les oreilles. J’ai eu tellement peur, nom de Dieu, que j’ai dégringolé de l’arbre à la vitesse de l’éclair et que j’ai couru ventre à terre à travers la nuit, en m’écorchant de partout et en égarant ce maudit chapeau au passage, jusqu’au village, pour me réfugier chez Grand-Père, à qui j’ai tout raconté. La seule chose que j’ai omise de lui dire, c’est le nom que le nain avait crié. Mais il se trouve qu’il l’a découvert plus tard tout seul.

Il s’arrêta un moment pour observer son petit-fils d’un œil amusé. Le gamin semblait estomaqué, et c’était bien le résultat qu’il avait espéré obtenir. De cette manière, il se montrerait d’autant plus attentif pour la suite.

— Abuelito, elle est terrible, ton histoire !

Le vieux s’esclaffa devant son air ahuri et prit le temps d’allumer un mapacho avant de poursuivre :

— Peu de temps après ça, mon abuelo, qui était comme tu le sais un curandero très puissant, a conduit une cérémonie à mon intention où il m’a fait boire ma première tasse d’ayahuasca. Je crois qu’il espérait qu’elle lui confirme ce que le serpent m’avait dit. Même si tout ce truc, en fait, comme il me l’a révélé plus tard, c’était surtout histoire de convaincre toute la communauté que j’étais bien ce que lui avait toujours su que j’étais. Il m’aimait beaucoup, tu vois, et il savait qu’un grand destin m’était promis. Mais il avait aussi ce petit côté farceur qu’ont beaucoup de chamans, et il était curieux de voir comment je réagirais à l’ingestion de la plante. Six ans, c’est quand même jeune, pour une première fois, même si c’est pas si exceptionnel que ça.

Son petit-fils ne put s’empêcher de réagir :

— Six ans ? Bon sang, mais comment t’as pu supporter ça ?

— Ça se fait plus beaucoup de nos jours, c’est vrai, mais je t’assure que je l’ai plutôt bien pris ! Tu vas te marrer, mais tu sais à l’époque, moi, la nature, le pouvoir de la medicina et toutes ces traditions, ça m’impressionnait pas du tout ! Moi je vivais dans ce trou paumé parce que j’avais pas le choix, mais je pensais qu’à une chose, mettre les voiles pour la grande ville. Je me rendais pas du tout compte de la chance que j’avais d’avoir accès à ce trésor que notre communauté est l’une des seules à posséder. Pour moi, on était tous pas plus que des ploucs en retard sur la marche du monde, alors j’étais loin d’avoir bu cette coupe avec la crainte que j’aurais normalement dû ressentir. D’ailleurs, ce vieux filou de Grand-Père, je savais bien qu’il espérait secrètement que la plante me terrorise par sa puissance, pour que je redescende un peu sur Terre et que j’aie enfin le comportement qui convienne.

— Et alors ?

— Alors, il l’a eu dans l’os. L’Ayahuasca m’a montré des tas de trucs, ça oui, mais ça m’a pas effrayé. Je vais te dire, j’ai même eu le sentiment qu’elle se ralliait à ma cause, et qu’elle et moi on était comme qui dirait en train de jouer un tour au vieux. Je te dis pas la gueule de l’ancêtre après cette cérémonie...

Il se tordit de rire.

— Il était totalement déconfit, le pauvre, mais aussi ravi pour moi. C’était quelqu’un qui respectait beaucoup la tradition, mais il avait aussi cette rébellion en lui, cette sorte d’admiration pour les gens comme moi qu’avaient le courage de faire voler en éclats toutes les règles établies. C’est pour ça que c’était moi qu’il préférait parmi tous ses petits enfants. Parce que j’étais un petit con qu’en avait rien à péter de rien.

Plus il parlait, et plus le jeune comprenait pourquoi il avait tant d’affinités avec lui. Il le relança :

— Et donc, qu’est-ce qu’elle t’a montré, La Plante ?

— Pour commencer, les visions ordinaires. Ces formes lumineuses que tu connais toi-même. Elle m’a montré ma place dans la nature, mais sans s’attarder non plus sur le sujet. Mon ego était encore trop fort à l’époque. Je comprenais ce qu’elle me disait, une part de moi savait déjà tout ça, mais bon, c’était comme pisser dans un violon. L’Ayahuasca sait tout, de toute manière. Elle savait très bien que j’allais ruer dans les brancards, tenter de lui échapper, et aussi que je finirais par embrasser ma vocation. Mais pour m’aguicher un peu, elle m’a offert des visions du futur. Je me suis vu voler dans un avion pour aller soigner des gens d’autres pays. La chose la plus remarquable, en fait, et qui a le plus bouleversé ma compréhension du monde, ça a été qu’elle me montre que sa medicina serait aussi nécessaire aux gens de ces pays que je brûlais de découvrir. Selon elle, ces personnes souffraient d’un autre mal que ceux de ma communauté, d’un mal infiniment plus complexe. Apparemment, je faisais partie de ceux qu’elle avait appelés pour tenter d’aider ces gens et soigner leur mal inconnu. Et puis pour finir elle m’a fait comprendre que même quand je tentais désespérément de fuir, je ne faisais que me conformer aux desseins qu’elle nourrissait à mon égard. C’est ça, en vérité, qui m’a le plus choqué, mais ça m’a aussi réconcilié avec une partie de moi-même. Après cette séance, je voulais toujours pas être chaman, mais je me suis plus enfui. Enfin, pas avant un bon moment, quoi. J’avais trop peur de répondre à son appel en traçant la route à nouveau. Et pourtant... J’ai pas échappé à mon destin, comme tu t’en es aperçu, je suppose ! fit-il d’un air navré.

Le gamin était subjugué par son histoire. Il fallait qu’il continue à parler !

— Et ensuite, qu’est-ce qu’il s’est passé, Abuelito ?

— Ensuite ? Ben, ça a pris des années avant que je m’engage pour de bon dans cette voie. J’aimais l’idée d’aller soigner les gens d’autres civilisations, et je me sentais très fier d’avoir été choisi pour devenir une sorte de précurseur en la matière, mais j’étais complètement démoralisé en pensant aux années de souffrance et de sacrifice qui m’attendaient. J’avais que six ans, c’est vrai, mais je connaissais la difficulté de cette voie. Tous les gosses du village savaient que certains types allaient s’isoler dans les bois pendant des années, sans voir personne, sans presque rien manger, afin d’acquérir le pouvoir de guérison. Et aucun de nous ne les enviait, ça je peux te le dire. Et puis, bien que je puisse pas t’expliquer comment, je savais aussi qu’on pouvait faire une croix sur les filles avec ce genre d’engagement. Pas pour toujours, bien sûr, mais bon, je dois t’avouer que ce truc-là, par-dessus tout, ça m’emmerdait carrément. Faut dire qu’à ce niveau, j’étais un peu en avance sur mon âge, et l’idée de renoncer à toutes ces femmes blondes qui peuplaient mes rêves de puceau, c’était pour moi un renoncement inadmissible…

Il fit une pause pour rallumer son mapacho et vérifia sa canne à pêche. Son petit-fils semblait hésiter entre le rire et l’embarras. Le vieux savait à quoi il pensait. Il savait qu’il était préoccupé par cette histoire d’abstinence. Pas de chance, il allait devoir y passer, lui aussi.

— Ça te faisait vraiment pas envie, de devenir un homme de savoir ?

— J’étais trop jeune pour comprendre la valeur de la connaissance en elle-même. Et puis c’était pas dans ma nature. Être chaman, c’est une vie dédiée aux autres, et pour un petit égoïste comme moi, ça n'avait rien d’enviable. L’autre truc aussi, et on peut dire que c’est la réflexion la plus sage que je nourrissais à l’époque, c’est que j’étais pas du tout sûr d’être capable de pas me servir de mon pouvoir à des fins personnelles.

— Devenir brujo plutôt que curandero, murmura le jeune, presque avec gêne.

— Ouais.

Ils se regardèrent en silence quelques secondes, les yeux rongés par la même flamme.

— Tous les chamans sont confrontés à ce choix durant l’apprentissage. Mon abuelo m’en avait beaucoup parlé. Lui savait très bien quelle voie il voulait suivre. Mais moi, qui m’en foutais royalement de venir en aide aux gens, qu’est-ce que j’allais choisir ?

Il cracha dans l’eau comme pour appuyer son propos.

— C’est typique d’un gosse, mais je me voyais déjà devenir un grand sorcier, jeter des sorts de partout, asservir les autres avec mon pouvoir... Et je me voyais aussi me confronter à Grand-Père dans une lutte entre le Bien et le Mal.

Il se mit à rire en secouant la tête, navré de sa propre naïveté.

— J’étais complètement persuadé qu’on en arriverait là, et le truc, c’est que... je voulais pas le décevoir. Toute l’humanité que j’avais, tu vois, Niño, elle lui était dédiée, parce que c’était le seul qui continuait à croire en moi alors que tout le village me prenait pour un petit salopard perdu de Dieu. Je voulais pas lui jouer ce coup-là. J’avais peur de moi-même. J’avais pas confiance en moi. Et je suis sincère quand je te dis que c’est ça, par-dessus tout, qui m’empêc­hait de me livrer à mon destin.

— T’étais pas si pourri que ça, alors...

— Peut-être pas, mais tu sais comment c’est. À force de s’entendre dire par le monde entier qu’on est pourri et irrécupérable, on finit par le croire et se comporter comme tel. Comme pour mieux coller à l’image que les autres t’ont attribuée...

— Ouais, c’est quelque chose que je connais, ça...

— Mm.

Le vieux faillit dire un mot sur le sujet, mais il se ravisa.

— Enfin bref. Je voyais bien que Grand-Père essayait sans cesse de ramener le sujet sur le tapis. À la moindre occasion, il évoquait le truc comme si de rien n’était, comme pour implanter lentement l’idée en moi. Quand on allait se balader, il me parlait des plantes maîtresses et de leur esprit. De retour d’une cérémonie, il me racontait ce qu’il avait vu et la façon dont il s’y était pris pour guérir le mal. Il causait aussi des brujos d’autres villages et se demandait ce qui pouvait pousser un Homme à choisir de faire le Mal. Et moi qui faisais comme si je comprenais pas… Pff.

Tout en observant le fleuve, il plissa les paupières comme si quelque chose lui faisait mal dans le ventre.

— Je m’aperçois maintenant que j’ai rien oublié de ses paroles.

Ses yeux revinrent vers son petit-fils.

— Les choses qu’il m’a apprises à cette époque, je m’en sers encore aujourd’hui.

Le gamin comprenait très bien ce qu’il était en train de faire mais il se contenta de répliquer :

— Le destin, hein...

— Ouais. Le destin. Ce truc bizarre qui a fait que vers douze ans, je suis gravement tombé malade.

— Quoi, comme maladie ?

— Une maladie de l’âme.

Voilà que l’ancêtre recommençait avec ça. Ce chapitre, il y avait déjà eu droit à maintes reprises.

— Toutes les maladies sont des maladies de l’âme. Mais celle qui m’est tombée dessus encore plus qu’une autre !

Ils s’esclaffèrent ensemble sans retenue, sans se soucier de faire fuir les quelques malheureux poissons qui auraient caressé l’idée de venir mordre à l’hameçon.

— Le destin a vraiment fait très fort, sur ce coup-là ! Ça m’a traumatisé ! Depuis, ça me viendrait plus à l’idée de tenter de déjouer ses plans. En plus, il a frappé pile-poil quand, après des années à me tenir à carreau, j’ai pété un plomb et me suis tiré avec la ferme intention de ne jamais revenir.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

— J’étais en train de courir dans la forêt quand, d’un coup, j’ai été foudroyé de douleur. Ça faisait si mal que je me suis plié en deux et écroulé au sol. Au bout de deux secondes je suais déjà sang et eau, je grelottais de fièvre, j’avais la vue brouillée, et j’avais mal, su puta madre, j’avais mal comme jamais j’avais eu mal dans ma petite existence. Et comme je pouvais rattacher cette souffrance à rien de ce que je connaissais, j’étais terrorisé, aussi, d’autant plus que j’étais déjà loin du village, et que, sauf coup de chance, personne ne viendrait me trouver ici. Mais je voulais pas crever tout seul comme un chien, sans même savoir pourquoi, alors j’ai essayé de me relever. Une fois, deux fois, trois fois avant que je parvienne à tenir sur mes jambes. Si j’avais pas réussi, j’aurais rampé sur les deux kilomètres qui me séparaient des miens. Ce chemin, bon sang, ça a été l’épreuve la plus rude de ma vie ! Je sais même pas comment j’ai réussi à retrouver mon chemin. Je me suis effondré à plusieurs reprises, et chaque fois c’était de plus en plus dur de me relever. J’étais en pleine hallucination. La forêt, on aurait même plus dit une forêt. Les ombres sur le sol étaient vivantes, les plantes et les feuilles des arbres remuaient, et elles parlaient, aussi. J’entendais des voix de partout, qui rigolaient, qui chuchotaient derrière mon dos. Bon sang, j’étais mort de trouille, et c’est grâce à cette peur chevillée au corps que j’ai trouvé la ressource nécessaire pour pas me laisser dévorer vivant par la selva.

Il se tut un instant pour reprendre son souffle mais parler semblait plus fort que lui.

— L’apothéose de cette horreur, c’est quand j’ai entendu un grondement derrière moi. Du fin fond de ma fièvre, j’ai tout de suite compris de quoi, ou plutôt de qui il s’agissait, et j’ai su aussi qu’il fallait pas que je me retourne. Bien sûr, j’ai pas pu m’en empêcher. Et je l’ai vu...

— Celui que t’avais vu en rêve ? Le nain difforme ?

— Ouais. Le Chullachaki.

Ils frémirent tous deux à l’évocation de son nom. L’un parce qu’il n’en connaissait que la légende, l’autre parce qu’il savait très bien qui il était.

— Sauf que comme tu le sais, sa particularité, à lui, c’est de prendre l’apparence qu’il veut pour te tromper et t’inciter à le suivre.

Son petit-fils avala sa salive avec difficulté.

— En l’occurrence, c’est celle de mon abuelito qu’il avait choisie cette fois-là. C’était stupide de sa part. Si y a bien quelqu’un que j’aurais jamais confondu avec un autre, c’était lui.

Il resta silencieux un moment.

— C’était vraiment mal imité, en plus. Mon abuelo ne marchait pas du tout comme ça, avec les pieds en dedans, en boitant. Vraiment raté.

Sans l’avoir senti venir, ils se remirent à rire, de plus en plus fort, jusqu’à atteindre une franche hilarité. Le gamin visualisait ce nain étrange en train d’essayer de ressembler à un grand-père. C’était vraiment trop drôle !

— Cet enfoiré de Chullachaki, j’ai tout de suite compris que c’était lui qu’avait tout orchestré, et il allait m’attraper pour me perdre à tout jamais si je me magnais pas le cul d’aller me foutre en sécurité chez mon vrai grand-père !

Quelques rires fusèrent encore avant qu’ils ne retrouvent leur sérieux.

— Je me suis arraché à cette apparition et je me suis mis à courir. Enfin, si on peut appeler ça comme ça. Je me propulsais vers l’avant, courbé en deux, en chavirant à droite et à gauche, contorsionné de douleur, suffocant d’épouvante… J’ai fermé les yeux sur les visions diaboliques et une seule image a envahi ma tête. Grand-Père, avec ses yeux tendres et rigolards, et cette bonté qui émanait de lui, cet amour insensé qu’il avait pour moi. C’est grâce à lui que j’ai fini par débarquer au village, pantelant, exsangue, en plein délire, à deux doigts de la mort. Tout ce que je me rappelle, c’est le visage stupéfait des gens quand j’ai fait mon entrée. Cet air de surprise et d’horreur. Ensuite, plus rien.

Il s’interrompit pour amplifier l’effet dramatique. Son petit-fils devait admettre qu’il était un conteur-né. Il était littéralement suspendu à ses lèvres. Et, d’une étrange manière, il croyait comprendre à travers cette histoire que la vie elle-même usait parfois de paraboles pour ramener les Hommes sur leur chemin.

— Dis-moi ce qu’il s’est passé ensuite, Grand-Père ! le supplia t-il. Elle est terrible, ton histoire !

— J’ai passé deux semaines dans le coma. Alors ce que je te raconte maintenant, c’est mon abuelo qui me l’a dit, parce que moi j’étais carrément hors service. Donc à peine arrivé, je me suis évanoui, et les gens ont couru le chercher. Il a eu très peur en me découvrant. Il paraît que j’étais pâle comme la mort, d’un gris terreux, à part certains endroits du corps où j’étais rouge comme si j’avais été brûlé. J’étais trempé de sueur et en même temps glacé. En plus je m’étais écorché de partout. Et puis, même si je réagissais plus, j’avais quand même les yeux ouverts et ils partaient dans tous les sens...

— Le truc trop flippant, quoi...

— Tu peux le dire. Alors il m’a porté jusque chez lui et m’a mis au plumard, soufflant du mapacho partout sur moi dans l’espoir de me maintenir en vie jusqu’au soir, où il pourrait commencer le vrai travail avec l’Ayahuasca et identifier le mal qui m’avait terrassé, et peut-être pouvoir me guérir.

— Il avait forcément besoin d’ayahuasca pour ça ?

— Ce coup-ci, oui. On peut avoir une idée de ce qui va pas sans en prendre, et tu sais bien que les icaros ont du pouvoir même sans cérémonie. Mais pour ce cas précis de l’attaque spontanée d’un esprit aussi puissant que le Chullachaki, pas d’autre solution. Alors le soir venu il m’a transporté dans la maloca, il s’est enfermé seul avec moi, et il s’en est tapé une grosse tasse, en ayant la ferme intention de découvrir ce qui m’était arrivé et comment me soigner. Presque instantanément, le Chullachaki s’est manifesté, et il était très en colère, tellement furieux qu’il a eu beaucoup de mal à maintenir sa concentration pour visualiser précisément ce qu’il m’avait fait.

Pressentant que son petit-fils avait besoin d’explications, il fit :

— Grâce à l’ayahuasca, le corps du patient apparaît un peu comme une cartographie du ciel. La peau devient transparente, avec le squelette, les veines et les organes visibles. Et l’énergie qui circule dedans aussi. On voit les nœuds, les blocages qu’on doit s’efforcer de détendre, de démêler, de fluidifier, en se servant de nos icaros et de notre tabac.

Le jeune savait déjà un peu tout cela, mais il le laissa continuer.

— En fonction du type de problème, on chante l’icaro de la plante qui convient pour appeler la guérison. Tout notre pouvoir, il est dans les plantes, celles qu’on a diétées et dont on a incorporé l’esprit. C’est grâce aux chants qu’on peut agir, avant toute chose. Les icaros que les plantes nous ont appris.

— Oui, Abuelito.

— Pour le coup, c’était très dur pour lui d’accomplir ce boulot, parce que le Chullachaki le menaçait lui aussi. Il a dû chanter et chanter encore, du plus profond de son ivresse, avec tout l’amour dont il était capable, pour apaiser sa colère et qu’il le laisse regarder en moi.

— Y a un truc que j’ai jamais vraiment pigé. Le Chullachaki, c’est quoi comme esprit ?

— Une entité très forte qui regroupe l’ensemble des plantes et des Hommes qui vivent dans la selva. Il organise toutes ces essences et les combine en quelque chose de plus large, comme un chef d’orchestre. Il peut donc parler en leur nom. Tu comprends ?

— Je te dirai ça après. Continue.

— Donc, Grand-Père a chanté presque tout son répertoire où il était question d’amour et de respect de la nature, pour prouver sa dévotion et sa bonne foi, et il a fini par réussir à le calmer un peu. Il m’a dit que c’était comme d’essayer de marcher en pleine tempête, un pas après l’autre, en prenant de la flotte et du vent glacés plein la gueule, le cri du ciel plein les oreilles, comme si une force implacable te repoussait vers le néant, mais en t’efforçant de continuer à chanter avec toute la sérénité du monde. Il riait quand il m’a raconté ça, mais moi je m’en suis atrocement voulu. Ça se voyait qu’il en avait pris un sacré coup, que cette histoire l’avait méchamment ébranlé. Ça se voyait même physiquement. Quand je me suis réveillé après ces deux semaines, il était tout voûté, alors que jusque-là il avait jamais montré le moindre signe de faiblesse, et ses cheveux étaient devenus tout blancs.

— Le pauvre vieux...

— Ouais, et tout ça pour sauver un petit con comme moi.

— Qu’est-ce qu’il a découvert, alors ?

— D’énormes blocages, un peu partout. Mon énergie vitale ne circulait quasiment plus. Elle se concentrait en amas brûlants extrêmement nocifs. C’est pour ça que j’avais de la fièvre et que j’étais presque mort. L’Ayahuasca disait qu’il fallait faire vite s’il voulait me sauver, mais d’un autre côté, le Chullachaki faisait pression pour qu’il n’entame rien qui aille à son encontre. Alors, ce qu’il a fait, c’est qu’il a divisé son esprit en deux. Une partie parlait encore et encore au Chullachaki, lui disant toute la confiance qu’il avait en moi, lui faisant comprendre que j’avais le cœur pur malgré les apparences, et lui promettant que s’il le laissait me soigner, je lui dédierais ma vie en devenant ce chaman que j’étais destiné à être. Et l’autre partie se concentrait sur mon mal, avec des icaros et beaucoup de fumée de tabac.

Il alluma un nouveau mapacho qui le fit tousser.

— L’instant le plus beau, selon lui, c’est quand il a senti ces deux parties se rejoindre pour n’en former plus qu’une et coïncider pour fusionner en un chant nouveau qu’il découvrait en même temps qu’il l’énonçait. Il était en train de faire l’expérience d’un nouveau pouvoir dont il prenait conscience à mesure qu’il l’acquérissait et s’en servait sans même savoir ce qu’il faisait. Et je crois que la reconnaissance sincère qu’il éprouvait pour ce nouveau don, je pense que c’est ça qui m’a sauvé. Personne d’autre que lui, avec son cœur si noble, n’aurait pu faire ce qu’il a fait. Je lui dois la vie, et même bien plus que ça.

Il baissa les yeux et l’espace d’une seconde, son petit-fils eut la certitude qu’il allait pleurer.

— Maintenant je sais ce que ça veut dire, d’exister.

Ils se recueillirent en silence, le vieux avec ses souvenirs et sa gratitude, le jeune, pénétré de magie, tentant d’imaginer la scène. Il aurait pu passer la journée entière à l’écouter, assis dans cette pirogue. Rien ne lui semblait avoir autant de signification que ce conte incroyable qu’il écoutait. Et il pensait pouvoir se figurer ce chant de pouvoir qui se découvre à mesure qu’il se révèle en action. Il y avait là quelque chose à creuser, quelque chose de fondamental, aux multiples répercussions, qu’il ne pouvait pour l’instant pas complètement saisir, mais dont il percevait l’importance. Ce que ça disait de l’Homme et du monde. Cependant, il n’avait pas envie de s’attarder sur ces réflexions. Il voulait juste entendre la suite.

— Mais quoi, si ton abuelito a réussi à te soigner, pourquoi t’es resté deux semaines dans le coma, alors ?

— J’étais pas soigné, loin de là. Cette nuit-là il a tout juste commencé le boulot. Amadoué le Chullachaki, en cherchant seulement à me maintenir en vie. L’Ayahuasca lui a indiqué quels remèdes seraient bon pour moi, et dès le lendemain il est parti débusquer les plantes qu’il lui faudrait me faire ingérer, d’une manière ou d’une autre, avec lesquelles il faudrait me baigner, me panser, et tout le bordel.

— Ah, d’accord...

— Eh ouais, c’est pas comme chez les gringos, une petite pilule et c’est reparti !

— Nos guérisseurs sont bien plus impliqués que les leurs, déclara le gamin avec une certaine fierté.

— Disons que si on doit comparer, les chamans, c’est plus comme des psychothérapeutes que des docteurs.

Cela surprit son petit-fils qu’il connaisse ce terme, et le vieux le savait. Lui aussi, il avait sa fierté.

— Même si bon, le chaman, il a une autre manière de faire... Mais c’est vrai qu’être curandero, c’est une sacrée croix à porter, Niño. Une vraie vocation, dans laquelle on doit mettre tout son cœur. C’est pour ça d’ailleurs qu’au début de l’initiation, les mauvaises entités se présentent à toi, en te faisant miroiter le pouvoir que tu pourrais obtenir sans te charger du fardeau de guérisseur. C’est un test, et seuls ceux qui font la promesse de se dédier totalement à leur rôle passent le cap de la tentation du pouvoir facile, et font route vers le véritable savoir.

Il sentit le besoin de préciser :

— D’ailleurs, quand je parle de vocation, j’exagère un peu. Quand tu vois ce qui m’est arrivé... On peut plus vraiment parler de choix. Quand un truc pareil te tombe dessus, faudrait être suicidaire pour pas obéir...

— Tu m’étonnes...

— Et puis en ce qui me concerne, Grand-Père s’est comme qui dirait porté garant. Il a carrément marchandé le droit de me guérir contre la promesse de mon adhésion, et même si j’avais encore eu la volonté de me révolter, ben je l’aurais pas fait, par respect pour lui. Quand à mon réveil j’ai vu qu’il avait pris dix ans dans les dents pour sauver ma pomme, y a un truc qu’a fondu en moi. J’ai eu l’impression de passer à l’âge adulte en deux secondes. Tout s’est débloqué, j’étais plus le même, d’un seul coup. Je crois qu’en fait c’est mon ego de gamin prétentiard qui s’en est pris une, devant le courage et la force du sacrifice, et il s’est décomposé. Il avait enfin trouvé plus fort que lui, et plutôt que de vivre dans la honte, il a préféré disparaître.

— Attends, tu vas trop vite. Raconte-moi les deux semaines de coma d’abord.

— Elles te plaisent, mes histoires !

— Je vais te dire, j’avais rien entendu d’aussi intéressant depuis... pfff... une éternité !

— Génial. Bon alors... Où j’en étais ? Ouais... Ça a pris quatre jours avant que la fièvre commence à descendre. J’ai des souvenirs très vagues de tout ça. Y me reste la sensation d’une menace qui plane, indéfinie mais très oppressante... comme... quelque chose qui rôde, mais qui ne se montre pas. Quelque chose qui reste toujours en périphérie du champ de vision, mais qui s’évanouit quand on tourne la tête pour tenter de le surprendre. Tu vois, un peu comme ces jaguars qui s’attaquent aux volailles pendant la nuit. Qui laissent des empreintes, des plumes et du sang partout, mais qu’on arrive jamais à choper sur le fait. Tu me diras, c’est un peu le propre des esprits. Il était constamment au-dessus de moi, à me surveiller. À maintenir la fièvre au niveau le plus élevé, juste avant le stade de la combustion. J’étais paralysé, comme enfoui la tête sous l’eau. Et c’était terrifiant, de le regarder tenir mon corps au-dessus des flammes, sans savoir s’il allait finir par me lâcher dedans.

Son regard était trouble. Il paraissait revivre de l’intérieur cette épreuve qu’il avait connue.

— C’était atroce, ouais. On aurait dit un charognard surveillant un mourant. Enfoiré.

— Et ton abuelo, tu le sentais, lui aussi ?

— Ben... Je me rappelle avoir vu une espèce de fantôme qui m’a fait penser à lui. Un esprit tout blanc, tout lumineux, cheminant au sein du chaos pour faire face au Chullachaki. Je l’ai vu pénétrer dans son monde où tout était noir et violent, avec cette fureur qui planait et exigeait réparation pour l’affront qui lui avait été fait. Il est venu avec son cœur, sans peur et sans prétention, mais sans hésitation. C’était magnifique, cette vision, je te jure. Quand j’y repense, je vois toute la beauté qu’y a à être chaman, et je regrette pas d’en être devenu un moi aussi.

Il ferma les yeux.

— Je voyais les icaros sortir de cette petite silhouette, danser autour d’elle comme des papillons, puis se déployer, loin, comme une myriade d’énergie blanche, pour voler avec courage vers l’entité pleine de colère et la recouvrir d’amour.

A présent, il regardait son petit-fils sans détour.

— Les choses sont tellement plus claires dans ce monde-là, Niño. Bien sûr, en tant que spectateur, toi, tout ce que t’aurais vu, c’est un vieux mec ivre d’ayahuasca en train de chanter les mêmes trucs répétitifs et me souffler du mapacho sur la tête. Mais ce qui se joue derrière tout ça... Le Chullachaki a alors baissé sa grosse tête de monstre vers la petite marionnette blanche, et la petite marionnette a posé sa main sur son front. Et j’ai vu l’énergie qui passait de la petite main à la grosse tête, j’ai vu comment elle se nichait dans toute la bête, comme un serpent lumineux, pour la faire irradier de l’intérieur…

Il eut l’air curieusement ému en disant ça.

— Je pense que c’est après ça qu’il a relâché son emprise, même s’il m’a pas abandonné tout de suite. J’étais plus en danger, physiquement parlant, mais fallait encore me faire revenir dans mon corps. J’étais toujours prisonnier de son monde.

— Mais c’est un truc de fou, ce Chullachaki ! Et t’oses me dire qu’il est pas malfaisant, normalement ?

— C’est une entité mixte. Parfois il aide les gens quand ça va dans son sens et c’est le cas normalement dans le travail des curanderos, bien sûr. Mais il peut devenir maléfique quand il considère qu’on va à son encontre. Alors des fois c’est marrant, quand il s’attaque aux gringos qui viennent ratiboiser la forêt. T’as bien vu comment tout le monde se réjouit quand il s’amuse à perdre des bateaux entiers d’étrangers en pleine jungle, qu’il fait tomber la pluie sur eux pour embourber leurs camions, ou tout simplement quand il les rend fous en usant de la puissance de la jungle elle-même. Mais quand c’est toi qu’il a décidé de punir, j’aime autant te dire que t’as plutôt intérêt à avoir un bon chaman sous la main, qui a appris à ses côtés, et qui peut donc user des mêmes armes que lui pour le combattre.

Il cracha dans l’eau une fois de plus.

— C’est comme ça que ça se passe, ouais. Tout est à double tranchant. Le pouvoir, tu sais, on peut s’en servir comme on veut. Pour guérir ou faire le Mal. Les armes de défense et d’attaque sont les mêmes. Simplement, si t’es un bon chaman, tu vois tout ça d’un niveau plus élevé, et tu te sers de ton pouvoir pour améliorer les choses. Et donc, oui, tu peux être amené à combattre ton maître. Pas vraiment pour le détruire, mais pour t’imposer en tant qu’Homme et apaiser son courroux d’esprit. Ça a un sens pour toi, au moins, ce que je raconte ?

— Oui, je comprends.

— M’enfuir était une offense très grave pour lui. Tu vois, si je te fais un cadeau que j’ai choisi spécialement pour toi et dont je suis très fier, et que toi tu me le jettes à la gueule sans même l’avoir déballé en me disant que tu t’en branles, que t’en veux pas et que c’est de la merde mon cadeau, je risque de mal le prendre et d’avoir envie de t’aplatir la tronche avec.

Le gamin se mit à rire en voyant son grand-père devenir si grossier.

— Tu rigoles, mais en gros, ce que j’ai fait, ça revenait à ça pour lui. Fallait pas s’étonner qu’il soit fâché !

— Vu comme ça, c’est sûr !

— Donc il voulait me donner une leçon que j’oublierais jamais, et il s’en est pas mal sorti du tout ! Cet esprit, désormais, je le veux comme allié. Le monde des limbes, je l’ai vu, et même si je m’en souviens pas très bien, j’ai pas la moindre envie d’y refoutre les pieds. J’ose même pas imaginer, si Grand-Père avait pas été là... J’y serais encore.

Une ombre descendit sur eux, mais le vieux ne la laissa pas les saisir.

— Durant les cérémonies, il m’appelait avec ses icaros. Il me suppliait de revenir. Je l’entendais de très loin, il me disait de me servir de ses chants comme d’une corde pour trouver mon chemin jusqu’à lui. Il disait qu’il était là, à l’autre bout, que j’avais qu’à m’accrocher, surtout pas lâcher, et qu’il allait me tirer jusqu’à lui. Ça a mis beaucoup de temps. J’entendais ce qu’il me disait, mais je voyais pas la corde. Quand j’ai fini par la trouver et l’attraper, je l’ai perdue des tas de fois. Le Chullachaki ne faisait plus rien, mais on peut pas dire qu’il aidait non plus. Sa simple présence menaçante m’empêchait de me concentrer aussi totalement que j’aurais dû. Jusqu’à ce que l’Ayahuasca s’en mêle.

Le jeune sourit involontairement à l’énoncé de son nom, submergé par une vague d’amour. Il était tellement pris par l’histoire qu’il se sentit soulagé qu’elle entre en scène pour remettre les choses à leur place et sauver son héros. S’il y avait bien une entité qui, contrairement à tout le reste, n’était que lumière, c’était elle. Apprendre qu’elle avait fini par intervenir lui réchauffa le cœur.

— Je l’ai immédiatement reconnue. Elle est si différente de tout le reste... Je l’avais rencontrée qu’une fois dans ma vie, mais j’ai tout de suite compris que c’était elle. Et alors j’ai su que j’étais sauvé.

Il coula vers son petit-fils un regard roublard, sourcil relevé et sourire en coin, et pendant un instant très bref celui-ci vu le petit garçon qu’il avait été. Ce petit diable qui se moquait de tout mais qu'on ne pouvait pas s’empêcher de trouver attachant.

— Elle s’est ramenée avec nonchalance, plus belle que jamais. Le Chullachaki s’est tout de suite ratatiné face à sa puissance et il m’a libéré. Elle m’a pris la main pour m’emmener dans son vaisseau spatial. On a traversé un milliard de mondes, parcouru tout l’univers, accompagnés, guidés, envoûtés par les chants de Grand-Père. Elle m’a montré la beauté de ses icaros, lui qui se battait jusqu’à la mort pour moi, en me faisant comprendre qu’il ne pouvait pas exister quelque chose de plus beau, que je m’en rendrais compte après avoir baissé la culotte de dizaines de filles blondes. Que ce serait une affliction de priver le monde des chants que je portais en moi. Elle m’a dit que le grand malheur prédit par le serpent, c’était ma propre mort, et rien d’autre. Mais Grand-Père avait lutté, il avait prouvé ma valeur à travers son amour, et il ne tenait qu’à moi, désormais, d’accepter enfin ce que j’étais. Et de l’amener à la lumière.

— Il t’en avait fait prendre, ton grand-père, pour que tu voies tout ça ?

— Ouais, un petit peu. Un fond de tasse que j’avais à moitié recraché, mais ça a suffi.

— Et t’as réintégré ton corps tout de suite après la cérémonie ?

— Pendant, en fait. J’ai senti mon cœur battre, et puis toutes les sensations sont revenues. Mais j’ai pas ouvert les yeux immédiatement. Je suis resté dans l’autre monde, avec La Plante et Grand-Père. Je les ai remerciés avec tout mon cœur. J’ai fait ma promesse. Et alors l’Ayahuasca nous a appris un nouveau chant, qui n’appartiendrait qu’à nous. C’est très rare, ce genre de truc, partager un icaro, mais elle l’a fait pour qu’on soit liés à jamais. Mon premier icaro.

Son regard à nouveau se perdit au loin.

— Un chant de joie, qui crie au monde toute la beauté d’être en vie. Depuis qu’il est mort, je l’ai plus jamais chanté. J’attends l’occasion propice.

Une larme roula alors sur sa joue, miroitant au soleil, et il offrit à son petit-fils l’un de ses plus beaux sourires, à la fois carnassier et affreusement enfantin.

— Après ça, j’ai plus jamais été le même.

— Est-ce que ça a été dur de pas céder à la tentation du pouvoir ?

— Non, pas vraiment. J’avais fait ma promesse, ça m’intéressait plus.

Il le regarda droit dans les yeux et laissa passer quelques secondes avant d’ajouter :

— Le pouvoir n’est rien. Il se retourne toujours contre celui qui croit le diriger. Quand tu lui cèdes, ne serait-ce qu’une fois, tu ne peux plus inverser les rôles. Tu deviens son esclave et les voies du véritable savoir te sont à jamais refermées.

Il mit la main sur l’épaule de son petit-fils et lui chuchota :

— Tu vas aller loin avec la medicina, et je vais t’accompagner. Une nuit, tu seras confronté à ça toi aussi. Il faudra faire le bon choix.

Comme le gamin restait silencieux, il reprit :

— Les choses les plus belles sont souvent les plus venimeuses. Souviens-toi juste de ça. Interroge ton cœur quand quelque chose brille trop fort. Lui ne se trompera pas, même si ton esprit est aveuglé.

Relevant sa canne, il déclara alors joyeusement :

— Encore aucun poisson aujourd’hui ! On a vraiment pas de bol. Faudra revenir demain.

Et il enclencha le moteur de la pirogue pour prendre le chemin du retour.

© Zoë Hababou 2022 - Tous droits réservés

 
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Published on January 27, 2022 08:21

January 1, 2022

El Diario Latino #3

Bahia Aguacate, Colombie : Jour 25 De Santa Fé de Antioquia à Bahia Aguacate
Un voyage en bus qui fait pleurer

Le voyage depuis Santa Fé jusqu’à Turbo a été assez inconfortable. J’ai perdu l’habitude de pas avoir ma place à la fenêtre, mais quand j’ai grimpé dans le bus il était déjà plein. C’est la haute saison ici, et les gens débarquent en masse vers la côte depuis Medellín. Ceci dit, je l’ai plutôt bien pris, me contentant de regarder le bout de paysage à moitié caché par la tête de mon pionceur de voisin qui m’était dévolu, en bouffant les fruits que je m’étais achetés au terminal. 

Petit à petit, le bus s’est vidé de ses occupants, et durant les dernières heures de voyage j’ai retrouvé ma position fétiche, le nez collé à la vitre. Pour plonger dans quelque chose de sombre. 

J’ai déjà dit que la longue contemplation induite par les trajets qui durent des heures étaient propices à la méditation, et à une certaine introspection, un examen dépassionné de soi-même, de son passé et de son futur, bien loin du tumulte un brin pathétique et surtout affreusement stérile qui prend place au sein de notre tête dans la folie du quotidien, où quasiment toutes les pensées naissent de la peur, de la volonté mesquine de dominer les autres, et surtout de la certitude égotique que le monde tourne autour de soi.

La contrepartie de ce regard neuf, qui plonge aussi loin en soi que dans le monde, est qu’il amène vers la surface des éléments qu’on pensait enterrés. Comme une sorte d’auto-hypnose, probablement. Dans la vie normale, on ne prend jamais le temps d’être inactif pendant si longtemps (sept heures, par exemple, comme ce voyage en bus). Pas étonnant que ce matériel psychique reste hors de notre portée. Mais dans ces circonstances, pas le choix que d’être entièrement immergé en soi. C’est assez étrange, cette résonance que la contemplation du monde provoque. Cette résonance avec son moi profond.

Comme un tambour primitif qui appelle à la vie, à la lumière, les échos d’anciennes souffrances, pour les faire danser sous le regard de notre conscience devenue extralucide.

J’ai pas envie d’entrer dans les détails de ce qui s’est passé, mais j’ai pleuré en silence durant une heure, seule face à ma vitre. J’éprouve aucune honte à pleurer devant des étrangers, mais je me suis tout de même contenue du mieux possible. Parce que si la digue avait cédé autant qu’elle le souhaitait, les torrents de douleur qu’elle retenait auraient inondé l’ensemble du monde. Le mien, et probablement celui des autres.

Il y a pourtant un étrange constat à faire au sujet de cet épisode. La vérité, c’est que j’étais rassurée que cette souffrance vive encore en moi, aussi vraie, aussi profonde que le jour de sa disparition. Il m’était souvent arrivé de me sentir coupable de l’avoir si vite acceptée, d’avoir pu continuer ma vie comme si le pas avait été définitivement franchi. Réaliser qu’il n’en était rien, que la tristesse était toujours aussi vive, aussi brûlante près d’un an et demi après, m’a fait comprendre qu’elle existerait là, pour toujours, et qu’il suffisait que je plonge les yeux suffisamment longtemps dans l'abîme pour la ressusciter, et l’éprouver dans toute sa démence, dans le vide sans fond qu’elle avait creusé, et qui m’habiterait à jamais, tel un nouveau constituant de mon être.

Exister par le vide, avec un creux, un puits creusé en plein cœur… et pouvoir malgré tout continuer à fonctionner. Peut-être plus riche, plus dense, plus complexe grâce à cette place un jour habitée, désormais vide. Comme l’écho de la mer dans un coquillage. Ça faisait chaud, et aussi atrocement froid.

Mais c’était moi. C’est ça que je suis désormais.


Le vieux Black à la chariote Une écrivain sur la route dans un endroit magique : Bahia Aguacate, Colombie

Arrivée à Turbo, la nuit n’était plus très loin, et en sortant du bus j’ai cherché des taxis sans pouvoir en trouver un seul. Ça me paraissait zarbi, étant donné que le terminal était plutôt excentré. C’est là qu’un vieux black m’a abordée, en me voyant errer comme une gourde, me proposant de me conduire à mon hôtel, moi et mes sacs, dans sa chariote à roulette qu’il manœuvrait comme un vélo. Mais ça va faire lourd pour toi, j’ai grogné en désignant mon équipement et ma propre personne. Nan, pas de problème, il a fait, je peux transbahuter beaucoup plus

C’est là que j’ai aperçu les motos. Pas des moto-taxis, des vraies motos. Dans certains bleds, c’est ça, les taxis. Mais le vieux paraissait ravi de me conduire, et il avait visiblement besoin de sous puisque quand j’ai tiqué sur le prix annoncé, il m’a demandé combien j’étais prête à lui offrir. Ça a achevé de me convaincre. Et puis je le sentais bien. Il m’appelait déjà mi amor et mi reinita (bon, comme ils font tous par ici, même entre eux, même de femme à femme ou d’homme à homme), et on a papoté comme deux vieux potos tout le long de la route jusqu’à l’hôtel (y a pas eu moyen qu’il m’emmène à celui que je voulais, mais j’ai pas trop lutté non plus, acceptant qu’il me largue à celui qu’il avait élu. S’il touchait une commission grâce à moi, tant mieux pour lui). D’ailleurs, au moment de le payer, je lui ai finalement fourgué le prix initial qu’il m’avait demandé. 

Ai-je déjà dit que je marchande quasiment jamais ? Je conchie le principe de faire baisser les prix à des gens qui ont beaucoup moins de pouvoir d’achat que moi. Baisser un prix de quelques milliers de pesos représente souvent quelques euros pour moi, mais énormément pour eux. Donc, merde à la sacro-sainte loi du touriste qui moyenne comme un perdu et se sent fier de lui quand il parvient à ses fins. Depuis mon premier voyage, j’ai adopté cette ligne de conduite et je m’y tiens.

Bref, l’hôtel donnait sur la rue hyper bruyante, mais je savais que ça allait pas m’empêcher de pioncer. J’ai observé la vie de cette ville depuis la terrasse de ma piaule, une Corona et un paquet de clopes à portée de main. Le lendemain je devais partir super tôt pour choper un bateau pour le bled de mes potes, près de Capurgana.


De la flotte plein la gueule, un paradis perdu et un Colombien fan de Bukowski qui cause scopolamine Une cabane en pleine jungle, Marie et son fils et une mer transparente, Bahia Aguacate, Colombie

A six heures du mat, il pleuvait sa race et je m'inquiétais un peu de la traversée que j’allais me farcir avec ce temps de chiotte et la mer que j’imaginais ultra agitée. Mais le chauffeur de taxi qui m’a conduite à l’embarcadère m’a dit que les eaux étaient calmes quand il flottait comme ça. En même temps, c’est des détails dont je me moque un peu. Je savais que je pouvais protéger mes affaires avec des sacs plastique vendus sur place, et j’ai quasiment peur de rien. Une mer agitée, c'est chiant sur le moment, mais les pilotes savent gérer le truc, alors pourquoi s’en faire ?

On a décollé à huit heures. La pluie avait cessé et la mer était calme. Y avait pas grand-chose à voir au départ, mais je savais très bien que j’étais en partance pour un paradis, et ce changement de moyen de transport me ravissait. Un voyage n’est total que quand on cumule toutes les façons de se déplacer : avion, bus, 4x4, bateau, pirogue, cheval… Ça c’est du trip, bon sang de bois !

C’est quand on a débarqué les premières personnes et qu’on s’est arrêtés pour une pause pipi que j’ai réalisé l’ampleur du délire : eau turquoise, cocotiers, musique à fond dans les bars, des Blacks partout. Putain, j’étais à nouveau en plein rêve !

Manque de bol, la pluie s’est remise à tomber pour la dernière demi-heure de trajet, et je m’en suis pris plein la gueule, obligée de fermer les yeux face à la flotte, pluie et vagues salées, qui me fouettaient et me cinglaient la face en continu. Mais c’était tellement marrant de sentir le bateau cogner l’eau, les yeux clos comme dans un grand-huit, incapable de prédire le prochain coup, à la merci des flots.

Le bateau m’a larguée toute seule sur une plage qui semblait abandonnée. La pluie tombait toujours et je me suis réfugiée pour fumer une clope sous l'auvent d’une baraque qui elle aussi paraissait inhabitée. On m’avait dit que l’hôtel était en face dans la montagne, en pleine jungle, et que j’avais qu’à demander aux habitants où il se trouvait. 

Donc no panic, une fois de plus. 

J’ai repéré deux nanas qui semblaient attendre quelque chose, et me suis mise à taper la discute avec elles. Y se trouvent qu’elles attendaient un gars de l’hostal où je devais aller, qu’allait venir les chercher. Nickel. Deux secondes après il était là, et on a grimpé la pente boueuse qui menait vers les hauteurs jusqu’à ce fameux Hostal Doble Vista, qui porte bien son nom. Un mirage tout en bois et hamacs, cabanes au toit de palme, dont le QG est une plateforme sur deux étages ouvrant sur 360 degrés de jungle et de mer. J’ai salué mes potes, pris possession de ma bicoque à la Robinson, et suis revenue me taper une bière avec les femmes de Bogotá que j’avais rencontrées en bas et un jeune Colombien qui squattait dans le coin.

D’emblée, la conversation a pris un tour plus qu’intéressant. C’est marrant comment ça marche. On commence à évoquer son voyage, ses passions, son taff d’écrivain, et on en arrive à parler de Pablo Escobar, Nietzsche et Bukowski. Au final, j’ai passé la journée à parler avec le Colombien. Il y avait quelque chose de surréaliste à se trouver si loin de chez soi, en plein cœur des Caraïbes, à creuser la pensée de Schopenhauer, la vision artistique de Fante et la façon d’écrire de Buko. C’est peut-être un lieu commun, mais on aurait tort de croire que cette sphère n’appartient qu’à l'intelligentsia occidentale. Ce jeune mec avait lu ces auteurs bien plus profondément que moi, et son analyse, sa vision de leur philosophie étaient poussées à l’extrême.

C’est rare pour moi de rencontrer des gens qui s’intéressent précisément aux mêmes auteurs que moi, et ma foi, c’était son cas à lui aussi. Bière après bière, livre après livre, on a refait le monde en se racontant la manière dont l’art avait changé nos vies. Je lui ai parlé de Borderline, il m’a raconté l’histoire qu’il avait en tête.

Ici en Colombie, y a un guet-apens très répandu à base de scopolamine, qu’on appelle dans le coin burundanga ou encore Sople del diablo (le souffle du diable), dont sont victimes aussi bien les touristes que les locaux. Ça se passe principalement dans les grandes villes, avec Bogotá et ses bas quartiers en vedette. Le GHB, aussi connu sous le nom de “drogue du viol”, ça vous dit quelque chose ? J’ai de bonnes raisons de penser que cette fameuse scopolamine est le même principe actif, sauf qu’il n’est pas synthétisé chimiquement comme chez nous. C’est une poudre qu’on produit avec les graines de la Datura, de la famille des Brugmansia, des plantes qu’on a aussi en France, et dont je parle dans l’Inventaire des Plantes Maîtresses : le fameux Toé, c’est elle.

Bref, tu réduis les graines en poudre, que tu vas ensuite glisser subrepticement dans le verre de ta future victime. Les effets ? Eh bien, à partir de là, ton pigeon va faire exactement tout ce que tu lui demandes, sans manifester aucune résistance. Il se transforme en victime consentante qui va vider son compte en banque pour toi, t’inviter chez lui ou dans son hôtel, te filer son PC et son portable, et même pourquoi pas t’offrir son cul sans même un froncement de sourcils devant tes exigences. Tout au fond de lui, il sentira peut-être que quelque chose déconne, mais ça n’atteindra pas la partie dirigeante de son cortex, et les témoins de ton petit jeu ne pourront pas deviner que t’es en train de dépouiller un malheureux, d'autant plus que les barmans ou videurs sont souvent les complices avec qui tu partages le magot. Et puis pourquoi se priver après tout ? Le lendemain, ce couillon se rappellera quasiment de rien… Attention, cela dit : si tu deviens trop gourmand et lui refous une lichette de poudre dans un nouveau verre au milieu de la nuit, il se pourrait bien que le pigeon défaille d’un arrêt cardiaque, et là tu devras te débarrasser du corps, ce qui est plus emmerdant.

Tu vois le délire ? J’ai rencontré ici un nombre faramineux de personnes à qui c’est arrivé, principalement des hommes en fait, qui se sont faits avoir par une fille qu’avait même pas l’air d’une pute. Dont mon fameux pote colombien. Il avait donc envie de transformer sa sinistre aventure en nouvelle littéraire, mais en modifiant un peu la fin de l’histoire. Il avait vu un reportage (dont voici le lien) où un type ayant subi cette magouille témoignait. Mais ce type avait décidé de se venger, en punissant ceux qui lui avaient fait ça ; c’est-à-dire, en les butant les uns après les autres. 

Pas mal, n’est-ce pas ? Évidemment, je l’ai sauvagement encouragé à écrire cette putain de nouvelle ! Partir de son expérience personnelle, avec tout ce que ça suppose d’immersion psychique et corporelle, vivre cette sombre dépossession de l’intérieur, puis, comme tout bon auteur, enrichir tout ça d’une autre histoire vraie dont on s’inspire…

Mec, si on tient pas ici la recette d’une histoire fracassante de réalité, je sais pas ce que c’est !


Des rencontres qui vont à l’essentiel Azur, lagunes et huile de coco à Bahia Aguacate, Colombie

Cette rencontre n’était que la première d’une longue série. Ici, dans cet hostal, les voyageurs ont tendance à se retrouver dans les parties communes, bar, toit-terrasse, petits salons et hamacs, et très vite on en vient à parler de ce qui nous anime. Les rapports sont différents quand on est en transit quelque part. Il y a comme une économie de mots, une volonté d’aller à l’essentiel, d’évoquer les choses qui comptent véritablement pour nous, plutôt que de se perdre dans les détails insignifiants et souvent mortifères du quotidien, dont on parle plus volontiers avec les amis proches. Ici, tout est à découvrir, et ne serait-ce que de demander à quelqu’un pourquoi il voyage, pour combien de temps, son itinéraire et les merveilles qu’il a croisées sur sa route amorce d’emblée un autre type de relation. Bon, cela dit, faut pas non plus croire qu'on tombe jamais sur de fourbes fils à papa qui prétendent être autre chose que ce qu'ils sont pour avoir l'air plus roots.

Je découvre qu’être écrivain, un écrivain-voyageur qui va faire la route pour longtemps, présente aux autres la meilleure facette de moi-même, et m’incite à leur ouvrir mes mondes sans retenue. D’ailleurs, je me dis que je devrais peut-être écrire un article là-dessus. Sur les spécificités du romancier vagabond.

Oui, j’écris. Je suis une ayahuasquera. J’ai publié cinq livres. Je tiens un blog qui parle de liberté.

Je pense que vous pouvez imaginer qu’en déballant l’affaire comme ça, les discussions qui s’ensuivent n’ont pas la même teneur que de se trouver en France et de dire : je suis serveuse, je taffe pour toute la saison. 

Faire la liste de toutes les personnes que j’ai croisées prendrait trop de temps, mais qu’il s’agisse de locaux, de travellers ou de gens qui se sont installés ici pour monter une affaire, moi qui suis d’une nature solitaire, j’éprouve en fait un grand plaisir à découvrir le parcours chaque fois différent de ces âmes réunies ici en un même lieu, en un même temps. J’aurais aimé faire des shooting de ceux qui m’ont le plus marquées, du style galerie de portraits en noir et blanc, mais je me sens pas assez confiante en mes qualités de photographe pour ça. Ce sont pourtant des visages qui mériteraient d’être gravés.


Vivre comme une sauvage qui boit des bières Cocos, calebasses et balades à Bahia Aguacate, Colombie

Le quotidien ici est assez cool, le rythme caribéen prend rapidement possession de celui qui s’arrête dans le coin. Mais je suis quand même loin de passer ma vie dans un hamac à siroter des Coco Loco.

Le truc particulier, c’est que j’éprouve ici une détente dont je me croyais plus capable. Se réveiller avec le soleil, boire un café tout là-haut en observant la mer, les toucans et les singes dans les arbres, écrire face à l’immensité, se baigner des heures, sans penser à rien, en osmose avec la mer. Se reposer dans un hamac en lisant des livres sur l’ayahuasca, puis partir en exploration le long de la côte ou dans la forêt des montagnes. Et se sentir… vibrer au sein de cette végétation à l’odeur entêtante, capiteuse, où la nature ne cesse de croître, de se dévorer et de renaître, dans un cercle infini, et avoir la sensation d’être un de ces Hommes d’il y a longtemps, tellement connecté à ses racines qu’il ne peut plus dire : ceci est mon corps, ceci est la nature, parce qu’il fusionne avec ce que ses sens embrassent… Et puis redevenir humain en rentrant pour boire des bières et fumer des clopes avec les autres voyageurs… Et se coucher tôt, comme tout le monde ici, avec la mer qui chante au loin et les insectes et les grenouilles qui entonnent leur concert nocturne comme un envoûtement primitif…


Fiesta, danse rituelle et cocaïne Un hostal perdu en pleine nature, des bananiers et des cocotiers, Bahia Aguacate, Colombie

La fête ici, c’est quelque chose de phénoménal. Passer Noël et le jour de l’an loin de chez soi peut donner des résultats plus ou moins foireux, et j’ai souvenir d’avoir attendu le Père Noël toute seule comme une merde sous ma tente inondée en Argentine, ou alors de m’être retrouvée à bouffer de la soupe à la tomate préparée à l’arrache par un hôtel qui ne pensait qu’à faire la fête de son côté en famille pour un 31 au Honduras…

Mais cette fois-ci, j’ai plutôt visé juste. C’est d’ailleurs la raison principale qui m’a poussée à squatter ici pendant deux semaines, en dehors du fait que l’endroit est splendide et que les dueños de l’hostal sont mes potes. Les prix grimpent à mort pendant cette période dans toute l’Amérique latine, et faut s’y prendre pas mal à l’avance pour réserver ses piaules, chose dont je suis parfaitement incapable. Une fois de plus, je me suis déjà fait niquer en Argentine à payer le triple pour une chambre miteuse, parce que tous les hôtels des environs étaient complets. Hors de question que ça m’arrive de nouveau, ce coup-ci le truc était calé.

En dehors de cet hostal, ça bouge pas des masses sur le reste de la petite plage de Bahia Aguacate (où y a pas de village, d’ailleurs, le plus proche étant celui de Capurgana), et vu que mes potes sont bien implantés et ont de bons rapports avec les locaux, bah tout le monde rapplique pour faire la fiesta là-haut où se trouve le bar et l’immense toit-terrasse avec vue à 360 degrés.

Et ça envoie du lourd. Tout le monde danse et s’enfile des bières et des shot de rhum artisanal, au son de cette musique d’ici, salsa, merengue, reggae ton, cumbia…

Les jeunes, les grosses, les vieux, les gosses, ils ont vraiment ça dans le sang, bordel ! Pour Noël, un moment en particulier m’a marquée. Y avait le petit gars qui bosse sur la construction de la future maison d’hôtes spécial digital nomad d’un Français d’ici, et El Capitan, un vieux qui s'occupe du service de lancha (bateau) pour l’hostal en transbahutant les voyageurs de Bahia Aguacate à Capurgana ou Sapzurro.

On dansait tous au milieu de la salle lorsqu’un gros type d’ici saisit une immense flûte en bois et se met à coller un son ambiance vaudou sur la musique, d’une façon totalement instinctive. Alors le vieux et le jeune commencent à s’avancer en plein centre de la danse, et les gens forment un cercle autour d’eux. Le vieux danse comme un soulman, tenant le devant de son pantalon, tandis que le jeune se meut d’une façon serpentine, à la limite de l'épilepsie parfois, et le jeu qu’ils jouent ensemble, le spectacle qu’ils offrent a quelque chose de profondément authentique, comme deux hommes des cavernes se laissant envahir par les vibrations d’un appel de la Terre… Tout le monde les encourage, crie, applaudit en cœur, tape des mains et des pieds, parce que c’est comme d’assister à un rite, une danse ancestrale, aussi vieille que l’animal qui hurle encore en chacun de nous, et je suis si heureuse d’être témoin de ça que ça me réconcilierait presque avec l’être humain !

Après plusieurs verres et des litres de sueur évacués, inévitablement, j’ai goûté la coke d’ici, incroyablement pure. Faut dire qu’on est pile-poil sur le parcours des narcos ici, ceux du Clan del Golfo, l’une des organisations criminelles les plus puissantes de Colombie. Cette zone a été rouverte au tourisme il y a peu, mais elle est encore pleine de paramilitaires. En fait, il s’agit des types qui surveillent les passeurs de drogue, qui partent à bord des bateaux chargés de poudre qu’on voit régulièrement prendre la mer pour aller livrer les États-Unis qui sont finalement tout près. Mais tout le monde vit en bonne entente. La coke est bonne et pas chère, et les touristes ne courent aucun danger. 

La bonne cocaïne te fait pas serrer des dents et t’empêche pas de dormir. Ça, c’est quand elle est coupée au speed, aux amphés, quoi. Rien de tout ça ici, on la chope au tout début de son parcours, avant qu’elle passe entre une centaine de mains qui ajouteront leur coupe afin de s’en mettre un peu plus dans les fouilles. Inutile de préciser que celle qui nous parvient en France contient à la fin plus d’additifs que de cocaïne, et que son prix a grimpé d’une manière proportionnelle à la merde qu’elle contient.

Mais j’ai sniffé deux pointes et ça m’a suffit. Depuis que j’ai découvert la transe, le vrai voyage avec l’ayahuasca, ce genre de dope m’intéresse plus des masses.

J’ai gerbé ma race avant de me coucher, ce qui était plutôt une bonne idée. Tu t’enfiles des verres, tu danses, tu te lâches, et puis tu dégobilles tout avant de dormir histoire de pas avoir à cuver, et tu te réveilles frais comme un gardon le lendemain. Technique personnelle qui a maintes fois fait ses preuves.

Jouer à Raoul Duke et prêter l’oreille à Travis Montiano Des hamacs, du rhum et la mer, Bahia Aguacate, Colombie

J’avoue qu’il m’arrive parfois de me sentir comme ce bon vieux Hunter S. Thompson qui s’enquillait alcool et dope tout en essayant d’écrire Rhum Express lors de son séjour à Puerto Rico. Je suis peut-être un peu trop dans le fantasme, mais j’ai toujours adoré marcher dans les traces de mes idoles, et faut reconnaitre que le côté écrivain-voyageur est une casquette particulièrement agréable à porter. Mais bon, tout comme lui, j’ai parfois du mal à m’astreindre à écrire au lieu d’être dans la démence de la vie en train d’être vécue. Et puis, je sens qu’il faut encore que ça mature.

L’histoire de Travis est là, juste sous la surface de ma conscience, mais il ne me livrera pas ses derniers secrets tant que je ne me serais pas confrontée à ce qui a été désigné, loin dans le passé, comme l’ultime essence, la révélation finale qui donnera tout son sens à ce qu’il a traversé. Et à ce que j’ai traversé avec lui.

Alors j’attends. J’écris sur la périphérie. Je pose le décor. Je creuse timidement.

Je ne suis encore qu’au tout début du voyage, et si je parviens à réaliser les plans vertigineux que je fomente chaque jour un peu plus, alors ça ne fait aucun doute que Borderline aura la digne fin que cette saga mérite.

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Published on January 01, 2022 09:49

December 18, 2021

El Diario Latino #2

Santa Fé de Antioquia, Colombie : Jour 10 De Manizales à Santa Fé de Antioquia

Dans la vie, y a deux sortes de personnes : les Aventuriers et les Hipsters L’Hospedaje La Glorieta, Santa Fé de Antioquia

Enfin un endroit un peu posé pour écrire. Foutredieu, c’est pas si évident de conjuguer aventure et écriture ! J’imagine que les vrais digital nomads voyagent pas de la même façon que moi. Sans doute qu’ils favorisent les grandes villes avec leurs cafés hipsters où ils peuvent se connecter tranquillos en se tapant des latte macchiato tout comme à la maison, en louant un Airbnb plusieurs jours d’affilée. C’est pas du tout ma manière de faire, et je compte aucunement la changer. Le truc, c’est que si je veux écrire sur l’aventure, faut bien que je la vive pour de vrai avant, nan ?

Je pensais à Kerouac, hier. Y me semble bien qu’il rentrait chez môman entre deux virées avec Neal Cassady pour taper ses notes et tenter d’en faire des romans. Ma foi, si je dois me contenter de larguer quelques mots à l’arrache ici, pour les mettre en forme et reconstituer le puzzle une fois rentrée, pourquoi pas ? Hunter S. Thompson s’y prenait un peu de la même manière, et pour tout dire il aurait presque souhaité que ses patrons des grands journaux soient suffisamment freestyle pour oser publier ses bouts de reportages tels quels.

La place principale de Santa Fé de Antioquia au petit matin

On verra comment ça se goupille, aujourd’hui j’ai du temps, une connexion qui tient la route, et du produit anti-moustiques. Ces petits enculés me défonceront pas les jambes pendant que j’écris. Et puis, j’ai qu’à traverser la rue pour aller me taper une bière si jamais l’inspiration venait à manquer. 

Je me sens bien ici. J’aurais pu faire comme ces fameux hipsters et rester à Medellín, qui est soi-disant une ville géniale, ultra-vivante, moderne et compagnie. Tu parles. Je l’ai à peine traversée en taxi pour me rendre du terminal sud au terminal nord. M’avait l’air aussi moisie que les autres grandes villes ! Ce village me ressemble beaucoup plus. C’est pas hipster pour deux sous, loin s’en faut, mais imaginez Indiana Jones débarquer chez les barbus en slim et vous aurez une idée de ma dégaine.

Ouais, parfois, vaut mieux rester avec ses paires…

C’est un monde de fou Eje Cafetero, la route entre Manizales et Pereira, Colombie

J’ai quitté Manizales le lendemain du premier Diario, déjà impatiente de continuer ma route. Aussi beau que soit un endroit, il le sera jamais autant que celui que tu connais pas encore. Le chauffeur de taxi m’a prise pour une Espagnole. Ça fait toujours plaisir de se dire qu’on parle suffisamment bien la langue pour faire illusion. Au terminal, le petit jeune qui conduisait le collectivo (mini-bus) m’a fait monter à l’avant. Rien de mieux pour avoir une vue totale sur l’Eje Cafetero, ou Zona Cafetera, bref, la région du café, quoi, constituée de montagnes où les fameux plants croissent comme des petits fous.

Ce conducteur avait l’air très fier de sa région. C’est un truc que j’ai souvent remarqué, et pas que chez les Latinos. D’où je viens, les gens sont également persuadés que rien ne vaut l’endroit où ils sont nés, alors que bien souvent, ils ont jamais foutu les pieds ailleurs. Ce sentiment d’appartenance, qu’on appelle je crois “régionalisme”, m’est totalement étranger. J’ai sans doute trop souvent déménagé pour venir encore d’où que ce soit, et être attachée à un lieu précis. Et puis, je sais que le monde qui s’étend au-delà de notre paillasson recèle un charme qu’aucun lieu connu ne pourra jamais prétendre posséder. Mais ce type n’était pas trop causant, en fin de compte. Tant mieux, je déteste parler quand j’observe le paysage. Les gens ont souvent cette sale manie de la ramener au lieu de te laisser te concentrer. Bref, ce mec-là était cool pour ça, et on se contentait de se sourire bêtement quand nos yeux se croisaient.

On a fait un arrêt dans une ville pour qu’il réceptionne d’autres voyageurs. Depuis la place du mort du micro-bus, je regardais tout ce qui se passait d’un œil à la fois habitué et surpris. Ça criait de partout dans cette rue, les rabatteurs de bus donnaient de la voix, comme ils font dans toute l’Amérique Latine, PEREIRA, PEREIRA, PEREIRITA (le bled où se dirigeait le bus), un homme orchestre attifé en rastaman est passé en claudiquant devant moi, un autre est monté dans le bus pour vendre ses chewing-gums, en appelant à Dieu pour nous inciter à céder et lui acheter ses merdes, des femmes avec leurs glacières hurlaient HAY AGUA HAY GASEOSAS (y a de l’eau, y a des sodas), ajoutant au vacarme général, et les rabatteurs continuaient, sube mi amor, te esperamos (monte chérie, on t’attend), qu’ils disaient à tout ce qui porte des seins. Un peu plus loin sur le trottoir un resto-grill de salchichas (saucisses) crachait ses vapeurs graisseuses tandis que le chauffeur, à l’aise dans son univers, poli et souriant, encaissait le fric en attendant que son bus soit plein. 

Je me suis dit que c’était une réalité que les gens de chez moi ne pouvaient même pas envisager. Tout ce bordel, cette chaleur humaine et cette folie à cent à l’heure. Toute cette crasse qui pourtant se débrouille pour être accueillante. Nan, ils pouvaient pas imaginer. Et je me demandais comment moi, j’avais réussi à m’y faire.

C’est une réalité que j’aimerais savoir transcrire davantage, surtout dans mes livres.

Le rappeur du bus

Arrivée à Pereira, j’ai direct enchaîné avec un bus pour Salento. Y avait quelques gringos à bord pour une fois, ce qui ne m’arrive pas souvent. C’est dingue, mais j’ai régulièrement l’impression d’être la seule touriste au monde ici. Pourtant, je sais qu’on est légion. Sans doute que je me lève trop tôt pour eux. Il m’arrive d’être déjà dans le bus à 7h du mat alors que le touriste de base émerge pas avant 9h.

Salento, Colombie

Peu avant la fin du trajet, un mec est monté avec son gosse. Le style roots, avec des écarteurs aux oreilles et des tatouages sur les bras. J’ai tout de suite su que celui-là aussi allait chercher à nous vendre quelque chose. 

Il a sorti un poste de radio à l’ancienne, du style qu’avaient les rapeurs à l’époque de l’arrivée du hip hop, et il a dit : La pire prison qui existe, c’est celle qu’on porte dans notre propre tête. On doit se libérer d’elle avant tout si on veut un jour essayer d’être libre. La chanson que je vais vous chanter cause de ça. Du labyrinthe de la pensée qui torture un Homme dans son cerveau.

Oui. Pour ceux qui ont lu Borderline, je pense que vous voyez très bien de quoi je veux parler, et pourquoi j’ai été si surprise. Alors il a lancé sa musique et s’est mis à rapper dessus. Un truc vraiment cool, avec des paroles profondes, un bon rythme, de la passion. Bon après, faut dire que je suis bon public avec le rap latino. Je trouve que ça envoie grave, bien plus fort, en fait, que le rap d’autres pays.

Le village de Salento au petit matin

Quand il a terminé, j’ai été la première à lui fourguer un billet. En faisant ce geste, je me suis soudain souvenue de Wish, qui donnait systématiquement aux saltimbanques et autres artesaños (artistes de rue) qui croisaient sa route. Le moindre jongleur qui faisait son truc face aux moto-taxis, profitant d’un feu rouge à Pucallpa, le plus mauvais tisseurs de bracelets à Lima, il lui filait quelque chose, alors que lui-même n’avait quasiment pas un rond. Parce que, lui-même, il avait galéré dans sa jeunesse, et vécu dans la rue, avant de devenir chaman. Qu’il savait ce que c’était, et qu’il avait pas la moindre envie d’oublier.

Moi, j’avais oublié ce trait de caractère de Wish, avant de filer 2000 pesos à ce type en lui disant que ses paroles étaient puissantes. Et puis, par la force des choses, tout le monde dans ce bus a fini par lui fourguer un peu de monnaie. J’étais contente d’avoir initié le machin. Je sais comment c’est. Faut que quelqu’un se lance avant que les autres l’imitent.

Une rando de 20 KM, des colibris et un paquet de clopes Le début de la randonnée de Valle de Cocora, Colombie

Salento est un village très touristique, mais adorable. Comme dans tous les villages sud-américains, la vie se concentre principalement sur la place principale face à l’église, avec ses petites cabanes qui vendent de la bouffe et ses décorations de Noël. J’ai posé mon sac à l’hôtel et j’ai été me taper une bière dans un rade dont la musique m’avait attirée. D’ailleurs c’est plus ou moins devenu une habitude. Quand je débarque quelque part, je me défais de mes affaires et pars me balader de par les rues pour me boire une cerveza quelque part. 

C’est le lendemain que je suis partie pour la fameuse Valle de Cocora. A 6h30 du mat j’étais sur la place centrale pour choper une jeep qui m'emmènerait au début de la rando. Ça faisait longtemps que je m’étais pas retrouvée seule pour marcher en pleine nature comme ça, et surtout pas vingt putains de bornes entre collines et forêt de nuages !

Heureusement que j’avais eu la présence d’esprit de louer des bottes à l’hôtel. L’escapade avec le dueño de Manizales et mes chaussures trempées au retour m’avaient au moins servi de leçon. J’ai dû franchir des rivières et patauger dans la boue pour accomplir ce chemin. Ça montait sa race et j’étais essoufflée à mort, mais faut que je m’entraîne. Si je veux faire des treks plus tard, y a pas à moyenner.

La forêt de nuage de Valle de Cocora

Ça m'a pas empêchée de fumer des clopes tout le long de la route, ceci dit. Je crois bien être la seule à fumer comme ça en randonnant. Les gens d’ici ne fument qu'occasionnellement, parce que c’est un luxe, et les gringos, ma foi, la majorité d’entre eux sont trop healthy pour ça. Les Blancs ont trop bien appris leur putain de leçon. Je m’en tape, j’ai beau être très spirituelle dans certains domaines, je suis pas obligée de prendre le packaging complet. La punk qui vit en moi crache à la gueule de tout ça.

Les colibris de la finca Acaime, Valle de Cocora

J’ai fait un arrêt à la ferme de colibris, pas très raisonnable vu le prix, mais je tenais à voir ces oiseaux et puis le bout de fromage et le chocolat chaud étaient inclus. Vous pouvez rire, mais j’avais rien avalé depuis la veille tout en m’étant levée à 4h du mat, parce que j’essaye de faire des économies, et que rogner sur la bouffe est le moyen le plus efficace que j’ai trouvé. Après des heures de marche, ces maigres denrées étaient plus que bienvenues. 

Un guide et trois Français sont montés à la ferme pendant que je filmais les bestiaux. J’ai tout de suite su qu’ils étaient français, à leur rire. C’est fou qu’on puisse reconnaître sa langue natale dans un simple rire. Mais c’est pas avec eux que j’ai causé, ça non, mais avec leur guide, un jeune gars très cool qui m’a montré les photos qu’il prenait durant les treks où il accompagnait ses clients. Il avait un sacré œil ! Ses photos d’oiseaux étaient dignes d’un pro, et j’ai vraiment apprécié de papoter avec lui. Il semblait aimer son boulot, et rayonnait d’une belle énergie.

Du coup, je lui ai demandé d’essayer de me photographier ces satanés colibris bien trop rapides pour moi. C’est lui qui a pris ce cliché d’eux. Bon, mon appareil est moins bien que le sien, mais au moins j’ai une photo valable !

Les palmiers à cire de Valle de Cocora, Colombie

Ça m'a requinquée de le croiser et j’ai repris la route avec un nouvel allant. Du moins, jusqu'au milieu de la montagne qu’il fallait gravir jusqu’au sommet, quasiment tout droit. J’en ai chié sa mère. Mais une fois en haut, il restait plus que quatre kilomètres assez faciles, en descente, vers la fameuse vallée où poussent ces palmiers à cire uniques en leur genre. Ils offraient une impression bizarre, mais ma solitude et la brume sur les montagnes me laissaient un sentiment d'éternité, de puissance, que j’ai respiré à pleins poumons.

Vingt kilomètres et quatre heures de marche solitaire ont un drôle d’effet sur un Homme. Je me sentais lavée. Épuisée, mais comme nettoyée de l’intérieur.

De retour à l’hôtel, j’ai profité de la machine qui se trouvait là pour laver tout mon linge, plein de boue, de sueur et d’herbe depuis la marche avec le dueño de Manizales. L’eau de la douche était tiédasse, mais c’était le cas depuis que j’avais quitté Bogotá, et je commençais à m’y faire. Tant pis pour mes muscles crispés. Eux aussi, ils allaient finir par s’y faire.

J’ai été me prendre une bière. Manger un morceau. Le lendemain je redécollais, une longue journée de bus m’attendait.

Avant de partir, j’ai laissé un exemplaire de Borderline à l’hôtel, dans la bibliothèque prévue pour le bookexchange.

La chiva de la mort, le pollo et la DMT La chiva colombienne, un affreux tape-cul !

Le bled que j’avais choisi n’était pas facile à atteindre, du moins, il s’écartait un peu de la route classique du gringo. Pourtant, au terminal de Salento, j’ai trouvé d’autres touristes qui prenaient la même direction que moi. Celle de Jardín, en l'occurrence, village niché en plein cœur de la Zona Cafetera. Il y avait là deux Polonais, une Thaïlandaise et un Hollandais. Les Polaks sont rapidement venus me parler. Et c’est toujours la même histoire : ils me racontent qu’ils sont là pour deux semaines, que ça fait déjà une semaine qu’ils sont là, et au vu de leur parcours c’est le genre qui se contente de quelques spots parmi les plus touristiques. Et puis le type vise mon sac, et me fait :

- Et toi, t’es là pour combien de temps ?

- Un an.

- Un an (pincement de jalousie) ? Et tu voyages qu’avec ça ? Hey, regarde chérie, elle part un an et elle a qu’un tout petit sac ! (et, se retournant vers moi) J'arrête pas de lui dire qu’elle prend toujours trop, mais bon…

- Je suis minimaliste, je fais comme pour m’excuser, en avisant son sac du coin de l’œil, qu’est pas plus léger que celui de sa copine…

La Thaïlandaise hoche la tête vigoureusement. Elle voyage avec encore moins que moi. La Polonaise s’intéresse à mon cas, est surprise que je sois écrivain, veut en savoir plus. Quand je lui dis que j’écris une saga, elle veut savoir si c’est de la fantasy. Marrant, hein, que les sagas soient forcément associées à ce genre-là. Mais non. Je finis par lui montrer mon livre.

On se tape les premières heures de bus chacun dans son coin, les touristes jouant avec leur téléphone ou en train de pioncer, moi collée à la vitre à regarder mon paysage. Lors du changement de bus au terminal, tous se précipitent pour aller bouffer vite fait du pollo con arroz (poulet avec du riz) dans le premier rade qui traîne. Moi non. Je mange pas de pollo et j’ai pas de sous. Je me contente d’un coca et de mes clopes. C’est ça quand on part longtemps. Faut une certaine ascèse, et être capable de bouffer qu’une fois par jour.

La vue depuis la chiva !

Une heure plus tard, on grimpait dans la chiva, bus typique de la Colombie. Pour des gringos comme nous, c’était le rêve, surtout pour moi qui aime être au plus près de la nature. Mais on a vite déchanté. Au bout de deux heures de route à deux à l’heure, à cahoter de partout et à rebondir sur nos fesses comme des zébulons en phase terminale, avec le froid et l’humidité qui tombaient à mesure qu’on s’élevait dans les montagnes, le trip n’était plus si folichon que ça.

On nous avait dit que le trajet durait entre deux et trois heures.

Quatre heures plus tard, il faisait nuit, on était frigorifiés et toujours pas arrivés. J’ai fini par dévier mon esprit de sa souffrance en papotant philo et DMT avec le Hollandais. C’est le genre de conversation que j’adore, suffisamment intriguante et prenante pour parvenir à se concentrer sur autre chose.

Un village en fiesta perpétuelle La vue depuis mon hôtel à Jardín

Une fois débarqué à Jardín, ce que je me figurais comme un tout petit pueblo assoupi s’est révélé être un village endiablé à la vivacité extrême, avec une place centrale immense, une église gigantesque, illuminée à mort pour Noël, et des gens absolument partout, en train de boire du café, de la bière ou de l’aguardiente, tout ça entouré de musique provenant des différents bars tout autour de la place. Incroyable !

C’est peut-être parce que j’habite moi-même dans un trou paumé, mais ça me fait bizarre de voir tant de gens vivre à l’extérieur, à se retrouver tard le soir comme ça, toujours accompagnés de musique. C’est pas une légende. La Colombie est vraiment vivante, avec une culture de proximité entre les habitants qui fait défaut à la France, y me semble. La chambre de mon magnifique hôtel pas cher du tout donnait sur la place, mais j’étais défoncée de fatigue et le grabuge m’a pas empêchée de dormir.

Le lendemain j’ai recroisé le Hollandais et on est partis poursuivre notre conversation en se baladant en dehors de Jardín. Une chouette marche de onze kilomètres au milieu des bananiers. Au retour il prenait la route pour Medellín, et moi je me suis payé un délicieux café (c’est la région, après tout) sur la place.

C’est marrant, moi qui suis d’un naturel sauvage, je commence à accepter d’être exposée au monde. Et je m'imprègne. Je m'imprègne à mort de tout ce qui m'entoure.

Un café désert, avant l’arrivée de la foule, à Jardín, Colombie

Jungle + Colonialisme = Santa Fé de Antioquia !

Le bus partait à 7h du mat, j’allais me rendre à Medellín, mais j’y parviendrais assez tôt pour pas avoir à y passer la nuit. La ville la plus cool de Colombie, tu parles ! Ça me fera toujours marrer, ça. Elle avait l’air aussi crado que les autres. Tout ce qui dépasse le pueblo (village) me semble monstrueux et flippant. Et puis en tant que fille seule, j’ai pas la moindre intention d’aller dans un bar pour me faire draguer et me retrouver avec du GHB dans le verre, ou plutôt, toute nue et dépouillée le lendemain dans une poubelle, sans aucun souvenir de la soirée. J’exagère peut-être, mais le regard des hommes sur moi me suffit déjà amplement. Pas envie de tenter le diable, et pas mon délire non plus. Donc j’ai pris un taxi pour changer de terminal et sauté dans un collectivo pour Santa Fé de Antioquia.

Le cimetière de Santa Fé de Antioquia, Colombie

C’est marrant, mais je pensais pas débarquer dans un bled si humide, quasiment la jungle, qui a pourtant des airs coloniaux. Les moustiques m’ont attaquée dès ma première clope dehors à mon arrivée à l’hôtel. Une sorte de petite maison chez l’habitant, vraiment pas chère, où je suis en train d’écrire ces lignes. Malgré ma fatigue, je suis sortie en traversant tout le village pour aller découvrir un peu les environs et me prendre une bière au parc central. Je suis tombée sur un joli cimetière, mais il était fermé.

C’est bizarre mais c’est seulement à ce moment-là que je me suis souvenue à quel point j’aimais les cimetières latinos lors de mon tout premier voyage, au point de les rechercher avec attention, de les prendre en photos sous tous les angles, et même d’écrire Borderline, assise entre deux caveaux. Parfois je me demande pourquoi une partie de la conscience s’obscurcit comme ça, et se réveille des années après.

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Published on December 18, 2021 15:10

December 12, 2021

El Diario Latino #1

Manizales, Colombie : Jour 3 De Bogotá à Manizales  Les taxis sont des enfoirés

Le chauffeur de taxi m’a entubée direct. Pourtant, c’est pas comme si j’avais pas fait attention de bien prendre un taxi officiel à l’aéroport, étant donné le risque très concret qui existe de se faire niquer à Bogotá avec les taxis sans compteur conduits pas des types aux ambitions plus que douteuses. Et dans ce cas-là, le problème qui se pose n’est pas seulement lié au pognon. A vrai dire, le fait de se faire tirer le triple de ce que vaut la course habituelle est bien le moindre des problèmes qui peuvent t’arriver.

Quand il m’a annoncé le montant de la facture, j’ai même pas lutter. Après deux jours de voyage depuis chez moi à Barcelone, puis de Barcelone à Amsterdam, et enfin d'Amsterdam à Bogotá, sans compter les trois plombes qu’il avait fallu attendre, debout dans une file longue comme trois fois mon bras, pour passer le contrôle de migration (imagine le délire : pour ton corps il est presque minuit, t’as dormi deux heures à l’hôtel d’Amsterdam et pas un brin dans l’avion, t’as le bide en vrac rapport à la bouffe de merde que tu t’es tapée depuis ton départ, et en Colombie il est 15h, et tu sais que tu dois encore récupérer ton sac, pisser un coup, acheter une merde quelconque à boire, trouver des clopes, retirer du fric au DAB et puis dégoter un taxi en essayant de moyenner pour pas qu’il t’encule - loupé -, te farcir la route jusqu’à l’hôtel et enfin te trainer sous la douche et tomber comme une merde). 

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Après, faut avouer que j’étais juste heureuse d’être de retour sur ce continent. En regardant les palmiers défiler et les graffitis sur les murs, avec la radio du taxi qui diffusait cette musique typique d’ici, je me suis retrouvée des années en arrière, lors de mon arrivée à Lima, pour mon tout premier trip. C’est remonté en moi, cette mémoire enfouie, qui se fait si souvent oublier, mais qui jaillit dès qu’elle est en contact avec ce qu’elle reconnaît comme sa source. J’étais animée d’un bonheur serein, profond, un peu comme quand on sait qu’on rentre à la maison, peut-être. Sauf que moi, ça me fait ça quand je retrouve la route.

Alors, il m’a dit son prix, j’ai fait Ouais, c’est ça, je lui ai fourgué sa thune et me suis dirigée vers la porte de l’hôtel. Un type m’a matée tandis que j’entrais. Bogotá me faisait déjà peur, putain, d’autant plus que c’était quasiment la nuit. Je hais les putains de capitales, de n’importe quel pays que ce soit, même Paris, bordel. Le type est entré derrière moi. C’était lui, le gérant. Il était affligé d’un handicap je crois, peut-être la polio qui lui avait déformé un bras et une jambe. Mais il était plutôt beau gosse, du moins quand on aime le style bad boy latino, et il était très serviable. Il m’a accompagnée à ma piaule qui donnait sur la rue, un chouette truc, en fait. J’ai pris une douche bouillante et me suis pieutée. Il était 20h ici, 2h du mat au pays d’où je venais. J’ai sombré.

Les flics, les clodos, besoin de fumer Une nuit à Bogotá

Les alarmes de voitures de police m’ont réveillée. J’avais le sentiment d’avoir déjà beaucoup dormi, mais il était que minuit. J’ai vérifié ce qui se passait à la fenêtre. Les flics squattaient là, mais impossible de savoir pourquoi. Je suis retournée dormir, mais deux heures plus tard j’étais à nouveau debout. J’ai maté ce qui se tramait dehors. Ce coup-ci c’était un type en train de fouiller les poubelles, juste en face de moi. Il les a vidées en totalité sur le sol, afin de récolter des restes de bouffe dans un des sacs. Je l’ai laissé à son affaire pour aller me doucher. A mon retour un pote à lui l’avait rejoint et ils s’y mettaient à deux.

Fallait que je fume, putain. J’ai zoné dans l’hôtel en essayant de trouver un patio ou une porte de derrière ouverte. Que dalle, et la porte principale était verrouillée. Je suis retournée dans ma chambre et j’ai fait glisser la fenêtre en me penchant dehors le plus possible pour éviter que la fumée n’empuantisse tout. Un des fouilleurs a levé les yeux vers moi. Je l’ai ignoré. 

Plusieurs clopes plus tard, ils avaient tout bien rangé les ordures dans les sacs et s’en étaient allés avec leur butin. 

Il était bientôt sept heures, l’heure de me tirer avec le taxi que j’avais demandé au dueño de l'hôtel d’appeler. Quand je suis descendue il était en bas derrière son comptoir, et on a taillé le bout de gras comme deux potes en attendant ma voiture. C’est marrant comme les gérants d’hôtel se montrent curieux envers les touristes. Moi à leur place, j’en n’aurais plus rien à carrer d’entendre leurs histoires. Il a paru assez impressionné quand je lui ai décrit mes projets. Faut dire que certains sont assez couillus. A voir si j’arrive à les mettre en œuvre.

On s’est quittés en se disant qu’on se reverrait si je passais à nouveau par Bogotá. J’avais le sentiment qu’on était déjà copains, et on s’est serré la pogne avec effusion. 

J’ai sauté dans le taxi pour le terminal. Un long voyage m’attendait.

10 heures de périple en bus

Le bus avait une heure de retard. J’avais oublié le manque de précision des horaires ici. Cela dit, le terminal de bus de Bogotá est plutôt accueillant, et puis je me suis payé des petits pains au fromage tout frais comme il font ici, produits sur place. C’est comme ça que je fonctionne sur la route. J’ai jamais de bouffe sur moi, parce que je sais que je pourrais mettre la main sur des trucs à picorer en chemin.

Le bus a fini par se pointer, un truc très confortable, d’autant plus qu’avec le covid y te mettent personne à côté de toi, c’est royal. La meilleure partie du voyage commençait enfin. J’étais dans mon bus, ma place préférée au monde, avec le paysage et ma solitude comme seuls compadres. J’ai fini ma nuit le temps qu’on quitte Bogotá. Quand j’ai émergé, le décor avait changé. C’était vert, et beau.

Petit à petit, la végétation est devenue plus dense, plus humide, et la nature de mes pensées a changé. Il existe un mode voyage que seuls les voyageurs solitaires connaissent. Les souvenirs d’anciennes errances remontent. Des mémoires que tu pensais perdues dans les limbes de l’esprit. Tu regardes ta vie d’une autre façon. J’imagine que d’être collé à une vitre durant dix heures d’affilée, en observant le quotidien de gens qui vivent d’une façon différente de la tienne, avec cette nature exubérante tout autour, te connecte à une zone du cerveau dont tu te sers très peu dans le monde ordinaire. C’est une contemplation qui plonge en profondeur, tout en étant très subtile. D’autres formes de pensées entrent en éclosion. Elles ne connaissent ni la peur, ni les plans futurs. Le passé apparaît comme continuant d’exister, tissant un maillage complexe qui dessine les lignes de l’avenir. Impossible de douter de soi quand on est témoin de ça. Impossible de douter du sens de son existence. J’étais ravie de me dire que durant un an, j’allais avoir accès à ça. 

Petit pain fourré à la goyave, nourriture idéale durant un voyage en bus !

Je commençais à avoir un peu faim quand un vendeur est monté à bord avec son grand panier. Il m’a fait goûter un petit pain tout chaud fourré à la pâte de goyave, me disant qu’il en avait aussi au fromage. J'ai pris un sachet de chaque. C’était tellement bon ! Ça vaut vraiment le coup de faire confiance au destin pour t’envoyer la graille. Ces aliments du bord des routes sont les plus frais et les moins chers que tu puisses trouver. Avec ça, j’allais pouvoir patienter jusqu’au soir, parfait.

Le paysage était si beau… Des arbres fruitiers en pagaille, des palmiers, des bananiers, des papayers, des cacaoyers, et bon nombre des plantes que je venais de décrire dans mon inventaire des plantes maîtresses, un truc de fou ! J’ai vu le fameux Toé et le Piñon Blanco ! Les bords des routes s’égaillaient d’échoppes où on vendait du pain de yucca, des papayes, des ananas et des avocats énormes, il y avait aussi ces petites maisons typiques des endroits tropicaux, basses, colorées, avec du fer forgé aux fenêtres et des hamacs suspendus sous le porche. Ça m'a fait plaisir de retrouver tout ça.

Un comedor typique de bord de route, comme il y en dans toute l’Amérique latine

Cela dit, le temps était quand même long, surtout parce que j’avais le dos en vrac et une méchante pointe de douleur sous l’omoplate, due à ces putains d’heures de vol et à ma fatigue générale. On a fait un arrêt dans un rade qui m’a rappelé celui où Travis se fait offrir un sandwich par un vieux au tout début du tome 1 de Borderline. C’est si étrange de retrouver les éléments qui ont inspiré mes livres. Une fois de plus, ma réalité et celle de Travis coïncident…

Il faisait déjà nuit noire quand on a finalement débarqué à Manizales. Dix heures de route dans les bottes, pour le lendemain d’une arrivée en pays étranger, même en tant que voyageuse chevronnée comme moi, c’est quand même du lourd. J’ai chopé un taxi pour qu’il m'emmène à la finca, sans me donner la peine de négocier le prix auparavant, ce qui peut être très risqué. Si tu marchandes pas direct, t’as toutes les chances au monde pour te faire enfler ta race à l’arrivée. En plus, le type s’est à moitié paumé (j’ai le chic pour me dégoter des hôtels perdus au milieu de nulle part qui ne figurent sur aucun radar). Mais en fait, il était charmant, on s’est bien marrés ensemble en cherchant la finca, et le prix qu’il m’a fait payer était de loin très inférieur à celui des deux courses précédentes (ce qui m’incite à penser que le deuxième chauffeur m’a lui aussi entubée…). 

J’étais enfin arrivée dans mon paradis. Bon, vu qu’il faisait nuit, j’en ai rien vu avant le lendemain, mais les chants d’oiseaux me certifiaient que j’étais au bon endroit. J’ai avalé mon dîner en en laissant la moitié (trop crevée), pris une douche, et me suis jetée dans le grand lit de ma magnifique chambre en bois ciré. 

Ce coup-ci, j’allais enfin pouvoir me relaxer.

Réveil au paradis Finca Morrogacho, Mazinales, Colombie

Imaginez une terrasse perchée à flanc de montagne, d’où partent des sentiers formés de marches en pierre, entourés de végétation. Des bananiers, des fleurs, des plants de café, et des tas d’oiseaux tous plus colorés les uns que les autres, dont le chant est une musique zen. Des nappes de brumes s'accrochent aux collines, dévoilant par moment un panorama d’un vert électrique, si dense, si profond, qu’il semble incarner une forme de vie primitive et sauvage. L’odeur, à la fois musquée et sucrée, vous pénètre comme celle d’un animal féroce, d’une beauté sans égal.

La beauté sauvage de la zona cafetera, Colombie

Le jour est en train de se lever. Et si les mots perfection et envoûtant ont jamais eu de sens, alors il est en train de se révéler, là, sous vos yeux. 

S’éveiller dans un endroit pareil après trois jours de voyage, c’est une récompense grandiose. Le genre de cadeau qu’on se fait à soi-même, qu’on ne peut recevoir que de soi-même, en fait.

Quand la réalité rejoint le rêve, à des années-lumière de la vie ordinaire, le monde apparaît comme magique, et la volonté, les désirs de l’Homme, qui le poussent sans cesse à lutter, à se dépasser, rencontrent leur accomplissement. 

Ça peut sembler stupide, voire malvenu de ressentir de la gratitude envers soi-même. Pourtant, c’est exactement ce que j’ai éprouvé. Et j’ai eu envie de remercier le monde d’être aussi beau.


La balade de la lose Vue depuis la finca Morrogacho, Mazinales, Colombie

Le gérant de l’hôtel (ouais, cherchez pas, je me fais toujours pote avec les gérants d’hôtel) m’a proposé qu’on aille se balader dans la montagne. Évidemment, j’étais partante. On a parcouru les sentiers de la finca, lui me montrant les arbres fruitiers qu’il avait plantés, me disant à quel point la terre était fertile ici, au point que le compost lui-même donnait naissance à des arbres sains et grands en l’espace d’une paire d'années. Du café, des goyaves, des avocats, des bananes, des papayes, des ananas… Il avait tout ici, et c’est avec ça qu’il nourrissait ses clients et les oiseaux des environs. 

On a passé le portillon en bois qui menait au-delà, directement dans les collines des vaches, une merveille de verdure et d’immensité. Le panorama était à couper le souffle. On descendait en zigzag pour éviter de se ratatiner la gueule, tant le sol était humide et boueux. C’était cool de discuter le coup avec lui. C’est marrant, au début je me montre toujours un peu timide, et puis rapidement je me mets à parler librement, à jurer dans toutes les langues comme à mon habitude, et à faire rigoler celui qui m’accompagne.

Au bout d’un moment, je me suis rendue compte que j’étais en train de me faire piquer de partout. Y me semblait pourtant n’avoir vu aucun moustique dans les parages. Et puis j’ai identifié ce que c’était : des sand-flies, ou mosqueros comme on les appelle ici, sorte de petites mouches jaunes très présentes dans les lieux tropicaux, et qui, contrairement aux moustiques, piquent à toute heure du jour. Ces mouches sont ma hantise. Quand je m’occupais des singes en Bolivie, j’avais le corps littéralement défoncé par leurs morsures. Eh ben, elles étaient de retour. Mais c’est pas ça qu’allait m’empêcher de continuer à marcher. 

Les montagnes de la zona cafetera, Colombie

On cheminait, on papotait, ça devait déjà faire une heure qu’on descendait la montagne quand on a franchi un petit cours d’eau, une source, comme il me l’a appris, avant de passer sur la montagne d’à côté. Les herbes avaient doublé de volume, et de hauteur. Le sol était si boueux que, sans savoir comment, mon pied a soudain glissé, j’ai fait une roulade digne d’un pro de capoeira, en m’accrochant désespérément à une touffe d’herbe bien robuste qui se trouvait là, pour atterrir un niveau plus bas (il y a plusieurs “sentiers”, on va dire, un peu comme une culture en terrasse), saine et sauve. Enfin, c’est ce que je croyais…

Après quelques nouvelles minutes de marche, je me suis aperçue que j’avais plus mon téléphone, qui se trouvait normalement dans la poche kangourou de mon sweat. Bon, OK, on s’est dit, le dueño et moi, c’est rien, y a qu’à retourner à l’endroit de la chute et basta.

El dueno de la finca Morrogacho, Mazinales, Colombie

Ouais. Mais c’était sans compter la hauteur de ces putains d’herbes, et la raideur de la pente. Vu la roulade que j’avais faite, le maudit portable avait pu bondir très loin, rouler tout en bas, ou plus simplement s’enfouir dans une touffe pour y rester planqué comme un petit salopard, et ce, à jamais…

On l’a cherché. Trois. Putains. D’heures. Évidemment, la première idée que le dueño a eue, c’est de m’appeler pour qu’on l’entende. Mais voilà, il n’avait pas de ligne normale, seulement WhatsApp, et moi, j’ai pas de connexion sans wifi. Il a dû appeler différents potes à lui pour que l’un d’entre eux se casse les couilles à prendre un taxi, aller en ville, puis dégote une tienda qui vendait des minutes d’appel à l’international pour pouvoir faire sonner mon putain de téléphone. Entre deux, la pluie s’était mise à tomber, et nous on devenait complètement fous à fouiller ces herbes en tous sens, à la recherche de cet engin de malheur qui m’apparaissait de plus en plus comme un fléau de la civilisation. J’ai fait au mec : Dieu sait que je déteste être le genre de gourdasse qui peut pas survivre sans son tel, mais bordel j’ai absolument tout là-dedans, et sans lui voyager serait bien plus difficile. Il comprenait parfaitement, et m’a assuré qu’on le retrouverait, quitte à faire venir des employés à lui pour qu’ils ratiboisent toute la prairie avec des machettes. Mais avec la pluie, je doutais de plus en plus qu’il soit encore en état de marche le lendemain…

Au bout de trois heures, donc, le pote a réussi à passer son appel. Mais on entendait rien, sa mère. Alors on a bougé, loin de l’endroit où j’avais chuté, prêtant l’oreille comme des malades dans l’espoir d’entendre cette fichue sonnerie annonciatrice de téléphone en vie. Et putain, je l’ai entendu, ce petit bâtard. Loin du lieu où j’étais tombée. Le dueño s’est précipité pour mettre la main dessus, posé tout tranquille qu’il était, l’air de dire : Hey les mecs, j’étais là depuis le début, moi, j’ai pas bougé ! Le pire, c’est qu’il était même pas au fond d’une touffe, il était juste… là, à nous attendre gentiment depuis le commencement de cette connerie. J'avais dû le perdre après être tombée. Incroyable.

Bref, on a enfin pu prendre la route de retour, grimpant la montagne quasiment tout droit, de la boue jusqu’aux genoux, mais j’étais si soulagée que l’effort ne m’a pas paru démesuré.

On a conclu cette idiote d’aventure avec une bière, tout mouillés, tout crasseux, mais avec le sentiment d’avoir quand même gagné quelque chose.

C’est con des fois la vie.

© Zoë Hababou 2021 - Tous droits réservés

 
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Published on December 12, 2021 08:57

December 7, 2021

L’Inventaire Illustré des Plantes Maîtresses Amazoniennes

Une Plante Maîtresse, qu’est-ce que c’est ?

A la différence des simples plantes médicinales, qui soignent les troubles physiques ou psychiques, les plantes maîtresses sont des plantes qui enseignent. Considérées comme de véritables êtres vivants, animées d’un esprit qui leur est propre, ces plantes enseignantes ont la capacité de s’adresser à l’Homme pour lui transmettre leur savoir, souvent par l’entremise d’états de conscience modifiée tels que les rêves, les visions (lorsque la plante est psychotrope), mais aussi l’intuition et la perception sensorielle, ou encore en lui enseignant des chants, comme les fameux icaros.

Si les plantes maîtresses sont souvent aussi médicinales, le fait est que leur pouvoir, et les bénéfices qu’elles sont en mesure d’apporter à l’être humain, vont bien au-delà de la simple guérison. On parle ici de transmission d’un savoir.

Mais cette connaissance ne s’obtient pas facilement. Pour avoir une chance d’y avoir accès, il faut s’engager dans un processus de diète avec la plante maîtresse, ce qui signifie l’incorporer de multiples façons, pendant des jours, des mois, voire des années d’affilée. L’idée est de devenir ami avec la plante, d’en faire une alliée afin qu’elle partage avec nous une partie de sa sagesse et de son pouvoir. La diète est un processus extrêmement strict, tant par les restrictions qu’elle impose (isolement, interdictions alimentaires et comportementales), que par l’engagement total de la volonté, et dans une certaine mesure la dévotion, qu’elle implique.

De quelle manière fonctionne une diète de plantes maîtresses ?

Notons déjà qu’il existe deux sortes de diètes : celle d’apprentissage, et celle de guérison.

La diète d’apprentissage s’adresse à ceux qui veulent devenir chaman. C’est une véritable initiation, qui requiert d’immenses sacrifices et se pratique sur des années. Cela dit, l’apprenti chaman devra d’abord se livrer à une diète de guérison pour se purger de ses troubles avant d’entreprendre la diète initiatique.

La diète de guérison, qui s’adresse donc aussi aux occidentaux, est beaucoup plus courte, et ne fonctionne pas de la même façon. Voici le processus classique par lequel passe celui qui s’y engage :

Tout d’abord, la Plante Maîtresse diétée va exacerber les problèmes du patient, en mettant en éveil les forces obscures tapies en lui. Il sera alors la proie d’effets physiques et psychologiques très rudes, tels que mal-être, nausée, migraine, irritabilité. Cette première phase a pour but de faire prendre conscience au diéteur des soucis ou des blocages corporels, affectifs ou spirituels qu’il porte en lui en secret.

Ensuite vient la phase du traitement en tant que tel. Le diéteur se confronte à ses problèmes, grâce à l’Ayahuasca, plante visionnaire sans laquelle le message des autres plantes maîtresses n’est pas accessible. Durant la transe, le diéteur va faire front aux troubles révélés par sa plante de diète, et embrasser la réalité de son être. La diète éveillera en lui le pouvoir curatif de sa propre conscience sur elle-même, un accès à son propre pouvoir, à sa propre sphère de guérison.

Enfin, lors de la dernière phase, le diéteur va incorporer les enseignements des plantes et modifier sa vie. C’est le processus d’intégration.

Comme on le voit, il s’agit donc d’un engagement total de la personne, très difficile à vivre, mais dont les bienfaits se répercutent sur toute une vie.

Entrons dans le vif du sujet !

Cet article est un index des Plantes Maîtresses et Médicinales utilisées dans le chamanisme traditionnel du bassin amazonien, avec photos à l’appui ! Aussi souvent que possible, j’ai indiqué le nom latin de la plante, sa posologie, son usage médicinal et son action en tant que Plante Maîtresse, ses effets physiques et psychiques, ainsi que les enseignements spirituels dont elle a la spécialité.

Si vous avez besoin d’explication pour certains termes propres au chamanisme utilisés ici, n’hésitez pas à vous référer au Lexique du Monde Chamanique.

Le Répertoire des plantes maîtresses et médicinales du chamanisme indigène L’index complet des plantes maîtresses et médicinales utilisées dans le chamanisme du bassin amazonien.


Aire Sacha Cosmica Aire Sacha Cosmica

Plante Cosmique

Plante Maîtresse : Principalement utilisée pour l’enseignement, l’Aire Sacha Cosmica favorise la connexion avec la nature et ses éléments, la Terre et l’univers. Son atout majeur est d’aider celui qui apprend avec elle à savoir différencier le monde obscur de la fausse lumière et la vraie lumière, ambivalence extrêmement présente dans le chamanisme. On dit qu’elle vient du cosmos et connecte les diéteurs à la médecine cosmique, aux docteurs et esprits de la sphère de la guérison.

Ajo Sacha (Mansoa alliacea) Ajo Sacha

Plante de l’Identité ou de la Vocation

Posologie : Deux verres par jour. Léger goût d’ail.

Usage médicinal : L’Ajo Sacha est reconnue pour nettoyer le sang et ainsi libérer des addictions. Elle entre aussi dans le traitement des affections psychologiques.

Plante Maîtresse : En ouvrant et en purifiant le mental et le corps, cette plante favorise le travail d’évolution personnel.

Effets physiques : Mal-être, douleur généralisée, sensation de chaleur, sont les prémisses qui inaugurent en fait un renforcement de la volonté.

Effets psychiques : Auto-affirmation, discernement, l’Ajo Sacha aide à différencier le vrai soi du conditionnement extérieur, afin de déterrer son identité profonde. Des rêves de lutte, parfois séquentiels, et de nombreuses réflexions sur les comportements passés sont à prévoir chez le patient, ainsi qu’une grande agressivité.

Enseignements : Renforcement du corps, de la volonté, menant vers une meilleure estime de soi et une plus forte capacité de décision. Cette plante purifie aussi le parasitage psychique, libère des sortilèges ou des infestations par de mauvais esprits. D’une manière générale, l’Ajo Sacha brûle les mauvaises énergies.

Ayahuasca (Banisteriopsis caapi) Ayahuasca

Esprit Féminin par excellence

Plante fondamentale dans la médecine traditionnelle, l’Ayahuasca est la porte vers toutes les autres plantes

Psychoactive

Posologie : Une petite tasse avant chaque cérémonie. Saveur très désagréable.

Usage médicinal : Cette plante ouvre la vision lors des diètes thérapeutiques.

Plante Maîtresse : L’Ayahuasca est l’outil de diagnostic principal des curanderos, leur force venant des diètes des autres plantes. Toute l’initiation d’un chaman dépend d’elle. Elle est incontournable dans l’apprentissage. De nature féminine, l’Abuelita possède son propre monde médicinal, sa propre sphère de guérison. Si elle est généreuse et globalement aimante, attention à ne pas faire le malin avec elle, ou bien elle vous remettra les pendules à l’heure !

Enseignements : En rééquilibrant les énergies de l’Homme et en éveillant son intuition, cette plante le connecte avec le passé et le futur, lui ouvrant la voie vers une perception nouvelle de la conscience et de l’espace-temps. C’est la clé des profondeurs de l'âme humaine, ainsi que l’interface qui permet la communication avec toutes les autres plantes, la nature, et les autres dimensions.

L’Ayahuasca est une plante si importante dans la pratique du chamanisme amazonien qu’elle nécessite une page de présentation pour elle toute seule. Vous pouvez consulter La FAQ Ayahuasca qui répond aux 23 questions les plus courantes à son sujet.

Ayahuma (Couroupita guyanensis) Ayahuma

Plante des Chants

Usage médicinal : Cet arbre très puissant est utilisé pour nettoyer des énergies négatives. On peut en faire un bain de vapeur.

Plante Maîtresse : L’Ayahuma est utilisée lors de l’initiation des chamans afin d’acquérir des protections en vue de pratiquer la guérison. Il ouvre au monde de l’Ayahuasca, éveille les visions, et permet de recevoir la lumière. Cette plante contient les deux énergies, positives et négatives, à égalité. Pour un apprentissage avec lui, un minimum de trois mois à un an est requis.

Enseignement : Cette plante enseigne les chants sacrés, ou icaros.

Plante toxique : Le dosage doit être très précis et scrupuleusement respecté.

Bobinsana (Calliandra angustifolia) Bobinsana

Plante de l’Enracinement

Posologie : Deux verres par jour.

Usage médicinal : Cette plante guérit les rhumatismes et l’arthrite.

Plante Maîtresse : Le Bobinsana enseigne les techniques du curandero et, d’une manière globale, l’art du guerrier. Il éveille en celui qui le diète ses propres pouvoirs de guérison.

Effets physiques : Douleur ostéo-musculaire diffuse, nausées. Le fonctionnement de cette plante consiste à renforcer le corps et l’esprit en les rendant plus flexibles.

Effets psychiques : Elle provoque de prime abord la réflexion, qui mène vers une tranquillité, une certaine douceur des sentiments. Le Bobinsana est très doué pour éliminer la dépression, tout en améliorant la souplesse de l’esprit. Il stabilise.

Enseignements : Arbuste qui vit au bord des rivières, pourvus de profondes racines, son aide se reflète donc dans la capacité d’enracinement, afin de rester stable au sein de la tourmente. Il stimule aussi la joie, la communication affective et l’ouverture du cœur.

Camalonga (Thevetia peruviana) [image error]

Plante Amulette

Posologie : Deux verres par jour.

Usage médicinal : La Camalonga traite le système nerveux en le purifiant et en le rééquilibrant. Elle ôte la noirceur et l’obscurité intérieure, tout en apportant le calme et la tranquillité. Cette plante contient les deux énergies à égalité.

Plante Maîtresse : Lors de l’apprentissage, cette plante se montre utile pour l’ouverture des visions en vue d’un traitement médicinal. Sa petite particularité est qu’elle ne se prend jamais seule en diète. Il s’agit d’une plante très fragile, très sensible, ce qui fait que quand elle est prise seule, son énergie disparait facilement. Mais si on l’associe à une autre plante, les deux se mélangent, ce qui la rend moins volatile.

Effets physiques : Affaiblissement général du patient, céphalées, amertume dans la bouche.

Effets psychiques : Grâce à la Camalonga, l'activité des rêves et le désir de travailler augmentent. En ciblant les déséquilibres, elle nettoie au niveau spirituel aussi bien qu’énergétique.

Chai Chai

Plante du Voyageur Spirituel

Usage médicinal : Ce cactus sert pour l’extraction des tumeurs et abcès, soigne les ulcères et les migraines, et permet aussi la réduction des fractures.

Plante Maîtresse : Le Chai est utile pour entrer en contact avec le monde de l’eau, de l’air et de la terre. Il est idéal pour la découverte des mondes spirituels et apporte sa protection.

Chiric Sanango (Brunfelsia grandiflora) Chiric Sanango

Plante des Froids

Posologie : Un verre tous les deux jours le matin, se baigner après la prise.

Effets physiques : Le Chiric Sanango provoque une sensation de froid initiale intense, accompagnée de frissons (chiri-chiri en quechua), d’une faiblesse généralisée et de multiples douleurs. On ressent aussi des fourmis dans les lèvres et les extrémités. Puis, dans un second temps, c’est la fièvre et la nausée qui prennent le dessus.

Effets psychiques : Cette plante engendre des rêves très forts dans lesquels se révèlent les peurs du patient. C’est sa façon à elle de le libérer de ses angoisses, de sa timidité et de sa froideur affective.

Enseignements : En jetant dehors le froid (physique et émotionnel) et la peur, elle augmente la confiance en soi, tout en restaurant l’équilibre masculin/féminin.

Chuchuwasi (Maytenus krukovii) Chuchuwasi

Plante de la Force et de la Structure

Posologie : Deux verres par jour, se baigner plusieurs fois dans la journée.

Effets physiques : Cette plante fait naître le mal-être, qui s’accompagne de douleurs diffuses. Son effet principal est d’agir sur le système ostéo-musculaire, dans le but de corriger les mauvaises postures.

Effets psychiques : On acquiert plus de force et de vigueur.

Enseignements : Le Chuchuwasi redresse, corrige, tonifie, enseigne la rectitude et restaure le centre. Il endurcit et tonifie d’une manière très profonde. De plus, il aide à régler les problématiques transgénérationnelles.

Coca (Erythroxylum coca) Coca

Plante de l’Équilibre Yin Yang

Esprit exactement au centre du spectre sexuel

Posologie : Deux verres par jour.

Usage médicinal : La Coca soigne les infections de tout type, clarifie le mental et restaure l’énergie physique et psychique. Tonique, elle apaise les douleurs et permet aux blessures de guérir.

Plante Maîtresse : Elle ouvre une connexion au monde astral et au monde des esprits, permet d’ordonner la pensée conceptuelle et est utilisée lors des opérations chirurgicales des esprits. En tant que plante neutre, elle participe au realignement psychique tout en rétablissant l’équilibre masculin/féminin. Elle stimule aussi la production onirique. On peut l’associer à une autre plante pour moduler son effet, le diminuer ou l’augmenter.

Marosa (Calathea allouia) [image error]

Plante du Cœur

Usage médicinal : La Marosa se montre utile pour favoriser la fertilité féminine. On peut en faire des bains de feuilles pour éveiller l’amour.

Plante Maîtresse : Plante rattachée au monde de l’eau, au serpent Yacaruna, elle travaille sur les blessures sentimentales et émotionnelles, les traumatismes, en nettoyant les mémoires anciennes, même celles en lien avec la généalogie. Grande aide pour les personnes dépressives, elle ouvre le monde de l’amour comme une mère et ouvre le mental, la conscience et le cœur, tout en soignant ses peines. La Marosa emplit le diéteur de joie et lui donne confiance en soi, tout en le rendant plus à l’écoute de son ressenti corporel. Elle développe aussi la part féminine dans le chant.

Mucura (Petiveria alliacea) [image error]

Plante de Feu

Posologie : Un verre le soir.

Usage médicinal : La Mucura est une plante de protection, qui brûle les mauvaises énergies grâce au nettoyage qu’elle provoque.

Plante Maîtresse : Elle rend plus réceptif, plus ouvert aux énergies d’autres plantes auxquelles elle est associée, permettant à celles-ci de mieux entrer, de mieux travailler. De plus, elle est salvatrice pour les gens infestés par de mauvais esprits.

Numan Rao Numan Rao

Plante de l’Amour

Famille des Racines (rao)

Posologie : Deux verres par jour.

Plante Maîtresse : La Numan Rao calme grâce à la lumière qu’elle fait naître dans l’âme de celui qui la diète. De nature féminine, cette plante ouvre à l’amour de soi et des autres, et favorise l’acceptation.

Ojé (Ficus insipida) [image error]

Plante du Sevrage Toxicologique

Usage médicinal : L’Ojé est un arbre puissant qui apporte beaucoup de lumière grâce à sa médecine très forte. Il entre en action dans le traitement des addictions. On l’associe souvent au Tabac et à l’Azusena, plante vomitive, pour la désintoxication.

Plante Maîtresse : Il enseigne comment guérir les addictions.

Palos (Bursera graveolens) Palos

Plante de la Structure et de la Verticalité

Famille des Grands Arbres (palo)

Posologie : Deux verres par jour.

Effets physiques : Le Palos provoque une chaleur générale chez celui qui le consomme, liée à une nette augmentation de la libido. On ressent aussi des douleurs ostéo-musculaire généralisées, ainsi que des maux de tête. En revanche, il ne donne pas de nausées.

Effets psychiques : Cette plante engendre des rêves au contenu érotique, telle une affirmation de la virilité. La volonté se fortifie, on a le sentiment de retrouver le sens de la vie et de savoir comment la manœuvrer. Il s’agit d’une auto-affirmation, d’un sentiment de sécurité et de force physique. Les diéteurs rêvent souvent qu’ils sont en train de manier des véhicules puissants, certains avec sécurité, d’autres au contraire avec une perte de contrôle, ce qui constitue le signal d’avertissement d’un déséquilibre à corriger.

Enseignements : Le Palos enseigne l’indépendance et augmente la confiance en soi, éveille la conscience de sa propre force. Il est très lié à la masculinité.

Piñon Blanco (Jatropha Curcas L.) Piñon Blanco

Plante de la Lumière

Usage médicinal : Cette plante recèle beaucoup de propriétés utiles pour de nombreuses affections, physiques et psychiques. Elle renforce le corps, l’esprit et l’âme, et est efficace pour traiter problèmes de fertilité chez la femme.

Plante Maîtresse : Le Piñon Blanco pratique l’ouverture vers le monde de la lumière. Il est souvent prescrit au tout début du traitement, afin d’effectuer un récurage total. Il contient peu, voire pas d’obscurité, et est donc utilisé pour ouvrir l’amour et la paix chez celui qui en a besoin.

Piñon Colorado (Jatropha gossypiifolia) Piñon Colorado

Plante des Rêves

Usage médicinal : Cette plante traite aussi bien les infections internes qu’externes, et traditionnellement, le diéteur reçoit un traitement avec elle à base de bains de vapeur et de cataplasmes.

Plante Maîtresse : Le Piñon Colorado ouvre le monde des rêves, et possède les deux mondes dans un équilibre fragile entre celui de la lumière et celui de l’ombre. Le diéteur devra faire un choix entre eux, et être très vigilant. Cette plante est donc plus difficile à utiliser pour l’enseignement que le Piñon Blanco.

Tabaco (Nicotinia rustica / N. tabacum) Tabaco

Esprit Masculin par excellence

Psychoactive

Usage médicinal : Le Tabac permet un nettoyage en profondeur des addictions diverses et est utilisé pour la protection.

Plante Maîtresse : Dans l’apprentissage, cette plante est un esprit fort, et certains chaman nommés Tabaqueros se spécialisent dans son usage. D’autre part, il est indissociable de la pratique de l’art du guérisseur, tout comme l’Ayahuasca. Le Tabac ou Mapacho, grâce au souffle du chaman, est le véhicule de son énergie.

Effets physiques : Cette plante provoque maux de tête, nausée, insomnie. Elle facilite l’élimination des troubles par les voies respiratoires, et est reconnue pour stimuler les rêves.

Effets psychiques : Le Tabac engendre l’élimination des souvenirs de prises de drogues, rend les pensées plus claires, plus ordonnées. Il fortifie. Celui qui le diète a souvent des rêves en relation avec des éléments aériens, comme la sensation de vol, de vitesse, de légèreté. Il agit aussi comme tranquillisant.

Enseignements : Il rééquilibre et ordonne le mental, et apporte protection, tout en augmentant les effets des autres plantes. Les chamans s’en servent pour chanter et mobiliser leurs intentions, en le soufflant sur leurs patients.

Le Tabac est un esprit si important qu’il mérite une exploration bien plus approfondie. Je vous invite donc à consulter cet article : A propos de la pratique des Tabaqueros, sur le site de Takiwasi.

Toé (Brugmansia / datura spp., Ipomoea carnea) Toe

Racine de toutes les Plantes

Psychoactive

Usage médicinal : Cette plante permet une réparation rapide des os en cas de fracture et soigne les douleurs et les abcès.

Plante Maîtresse : Très puissant, le Toé ouvre les visions et enseigne la médecine. Mais il est à réserver aux personnes extrêmement motivées, et déjà bien avancées dans le monde chamanique. Il ne se diète que sur une longue durée, entre six mois et un an minimum. Il peut révéler les secrets de la nature, mais entre violemment en conflit avec l’ego. C’est une plante très difficile, dotée d’un monde obscur important, qui peut se retourner contre le diéteur sans que celui-ci ne s’en aperçoive. Elle est donc très exigeante, c’est la plus dure à diéter. En cas de non-respect de la diète de Toé, un grave accident psychologique est à craindre.

Plante toxique : Cette plante peut détériorer la vision et être mortelle si la dose absorbée est trop importante.

Uchu Sanango (Tabernaemontana sananho) Uchu Sanango

Plante du Futur

Posologie : Un verre tous les deux jours, le matin. Se baigner brièvement plusieurs fois par jour pour contrôler l’effet.

Effets physiques : L’Ushu Sanango entraîne une sensation initiale de chaleur, des nausées, un affaiblissement général, des vomissements et diarrhées occasionnels. Ces effets sont très marqués. Il provoque aussi une excitation sexuelle.

Effets psychiques : Cette plante est très douée pour réduire la mentalisation. Elle tonifie, réaffirme la volonté de celui qui la consomme. Elle permet de rectifier ses erreurs de jugements, et incite à faire des plans concrets pour le futur. On éprouve aussi une sensation d’élimination des idées négatives (purification par le feu). D’autre part, elle rend très irritable et réveille violemment la libido.

Enseignements : L’Ushu Sanango enseigne la droiture, la rectitude dans les actes, en facilitant la prise de décision, à un niveau très concret. Elle nous montre comment être plus exécutif, plus rigoureux, afin de choisir son futur d’une manière volontaire et déterminée.

Ushpawasha Sanango (Tabernaemontana undulata) Ushpawasha Sanango

Plante de la Mémoire du Cœur

Posologie : Deux verres par jour. Saveur de pourri, d’eau croupie.

Effets physiques : Cette plante entraîne une somnolence et une légère nausée.

Effets psychiques : L’Ushpawasha Sanango augmente l’activité onirique et mémorielle. Elle offre une perception amplifiée de la nature, frisant même l’hypersensibilité. D’autre part, elle provoque un déchargement affectif, c’est-à-dire qu’elle fait rire et pleurer.

Enseignements : En favorisant l’expression et la métabolisation des souvenirs d’importance affective enfouis, cette plante offre une réelle catharsis, ainsi qu’une aide précieuse pour la balance émotionnelle. Elle libère des blocages grâce aux prises de conscience concernant l’enfance, les images parentales, et même sa propre ontogenèse. D’une manière générale, elle harmonise au niveau émotionnel.

Sources :

Carnets de voyages intérieurs - Ayahuasca medicina, un manuel, Jan Kounen.

Ayahuasca, du serpent au jaguar - Une éducation chamanique amazonienne, Yves Duc.

Les Plantes Maîtresses, un véhicule d’introspection, Takiwasi.

Les Plantes Maîtresses, Ayahuasca-Retreats.info.

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Published on December 07, 2021 04:58

Zoë Hababou's Blog

Zoë Hababou
Zoë Hababou isn't a Goodreads Author (yet), but they do have a blog, so here are some recent posts imported from their feed.
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